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L'histoire

Kelkoo, une success story européenne 15.11.07

Un modèle économique transformé en cours de route, des performances étonnantes, un repreneur de notoriété mondiale, l’investisseur qui devient manager… ce deal sur le moteur de comparaison des prix via Internet avait tout pour être un beau «coup».
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L'expérience d’investisseur de Dominique Vidal aura été courte : dix-huit mois. Le temps de réaliser quelques investissements dont un aura raison de cette nouvelle vocation : Kelkoo. Car avant de rejoindre Banexi Ventures, l’homme s’est frotté au marketing et bases de données pendant dix ans chez Schlumberger. Dans ses nouvelles fonctions, il comprend l’intérêt d’un projet né de la société Liberty autour d’une technologie développée par un GIE associant Bull et l’Inria. L’histoire avait commencé lorsque, en 1998, Mauricio Lopez était venu proposer à Michel Dahan, general partner de Banexi Ventures, une technologie et le modèle économique pour concevoir un moteur de comparaison des prix sur Internet en l’adossant à un grand opérateur tel que France Télécom. Michel Dahan est persuadé de l’intérêt du marché des intermédiaires sur le web mais plutôt qu’une simple affiliation en BtoB à un opérateur, il souhaite ouvrir le site directement aux internautes et se développer rapidement en Europe. Un risque à la hauteur des promesses, mais d’autant plus justifié que France Télécom, qui dispose déjà de Voilà, va se désintéresser du dossier.
Face aux enjeux de développement, Dominique Vidal décide de recruter un professionnel aguerri de la gestion et du développement commercial en la personne de Pierre Chappaz, ancien directeur marketing de Toshiba Europe et d’IBM. Quelques mois plus tard, c’est ce dernier qui lui propose de rentrer au sein de la société pour y prendre en charge le développement. «Je l’avais débauché, il m’a rendu la pareille.» C’est que les défis auxquels va devoir faire face la société sont de taille. Car il ne suffit pas de disposer d’une technologie performante et d’un exemple avec shopping.com aux Etats-Unis. Encore faut-il réussir à s’imposer rapidement en Europe avec un modèle économique profitable.

De la pub à la commission
En trois mois, la technologie qui reposait sur deux personnes est rachetée aux initiateurs, des acquisitions sont effectuées en Espagne (dondecomprar.com) et au Royaume-Uni (shopgenie.com) ; le site est développé directement en Italie. Cinq mois plus tard, c’est le norvégien Zoomit qui intègre le giron de Kelkoo avec l’ambition de développer la Suède et le Danemark. Surtout, les dirigeants vont réussir à lever 28 millions dollars en juin 2000, suivis de 6 en septembre la même année. Une gageure et une chance alors que la bulle Internet vient d’éclater et que tout le modèle, qui reposait largement sur la publicité, s’est écroulé. La société est à deux doigts du dépôt de bilan. Les dirigeants vont devoir s’inventer un nouveau futur ; il s’agit tout simplement de créer un nouveau marché, celui de la commission au contact, modulée en fonction des taux de conversion en achat. «En juin 2001, la société ne valait plus rien. On a tout misé sur un modèle auquel nous croyions mais dont rien ne pouvait nous garantir qu’il allait fonctionner.»
Progressivement ce marché du contact va devenir une réalité au cours du troisième trimestre 2001 : «On a commencé à voir la lumière.» Mais les pertes opérationnelles de l’exercice 2001 sont très importantes en dépit de l’effort de rationalisation. Il n’est donc plus question de croissance externe et tout va porter sur le développement interne. Faire travailler ensemble les cinq sociétés comme si elles n’en formaient qu’une : le marketing produit est élaboré en Norvège tandis que le développement produit se fait à Grenoble. L’Espagne se révèle un marché beaucoup plus difficile que ne l’avaient envisagé les dirigeants, tandis que les Norvégiens se montrent d’excellents professionnels.
En septembre 2001, Pierre Chappaz promet l’équilibre dans douze mois lors d’une interview au Journal du net. Le pari sera tenu puisque septembre 2002 marque l’arrivée des premiers bénéfices et que le chiffre d’affaires a cru de 1 300 % en trois ans. Et le modèle économique qu’il a fallu inventer au pire moment de l’économie Internet se révèle un succès. En 2003, la société réalise un bénéfice de 12 millions d’euros pour un chiffres d’affaires de 42 millions. A la mi-2003, Kelkoo rachète également Monsieur Prix, spécialiste des produits technos pour développer son offre sur ce segment.

Yahoo, pour la pérennité
Le temps de la sortie se rapproche alors pour certains des investisseurs dont Dominique Vidal loue la qualité et la loyauté vis-à-vis de l’équipe de direction durant les moments les plus difficiles. Le capital réunit alors plus de 380 actionnaires à la suite des différents tours de tables et des acquisitions par échange de titre. Le projet d’une introduction en Bourse fait son chemin. La société est devenu un des leaders internationaux de l’Internet avec une véritable visibilité européenne que seules des sociétés comme Amazon ou eBay peuvent revendiquer. La tentation est donc grande d’en faire l’une des valeurs phares de la cote et de marquer ainsi le renouveau de l’économie Internet. Surtout, Kelkoo cherche à se développer aux Etats-Unis et en Asie et cette nouvelle étape passe par l’augmentation de ses ressources. Différentes sensibilités vont alors s’exprimer parmi les dirigeants et les investisseurs. Certains favorisent plutôt une cession industrielle, alors que Pierre Chappaz – ce n’est pas un secret – se fait l’avocat de la Bourse.
Parmi les sociétés américaines, le tour est vite fait parmi celles qui disposent déjà d’une visibilité européenne : Yahoo s’impose rapidement comme une solution qui fait sens. Un certain consensus va s’établir autour des quatre principaux investisseurs (dont Banexi Ventures, un fonds norvégien et un fonds espagnol), qui vont être chargés de mener les négociations. Yahoo emporte la mise pour 475 millions d’euros en cash, ce qui offre aux actionnaires une sortie avec un multiple compris entre 4 et 20 selon leur date d’entrée au capital.
Dominique Vidal souligne la confiance faite aux managers par les investisseurs dans tout ce processus de cession, toujours délicat. Une nouvelle histoire commence, sans Pierre Chappaz, qui a pris du recul, mais sous la houlette de Dominique Vidal, nommé directeur Europe de Yahoo. De nouveaux horizons aussi avec l’ambition de se développer en Allemagne, premier marché européen pour le e-commerce, en Europe de l’Est à moyen terme et en Asie, en s’appuyant sur Yahoo. L’idée est également de développer de nouveaux services de type guides d’achat, opinion des consommateurs et évaluation des marchands. Objectif : devenir le lieu unique de shopping pour les internautes.
Franck Caron

Repères

> Octobre 1999  :
création de la société autour de Pierre Chappaz et des développeurs de la technologie
> 2000 :
Dominique Vidal quitte Banexi Ventures et rejoint Kelkoo en tant que managing director
> 2000 :
levée de 34 millions de dollars et rachat de 3 sociétés à l’étranger
> 2001 :
changement de stratégie
> 2002 :
l’équilibre financier est atteint
> 2003 :
rachat de Monsieur Prix
> Mars 2004 :
Yahoo rachète Kelkoo pour 475 millions d’euros en cash. Les investisseurs sortent en réalisant un multiple compris entre 20 et 4.

Visions croisées Kelkoo/Orsay

Samira Friggeri, avocat au sein du cabinet Orsay, accompagne Kelkoo et ses dirigeants depuis le début. En compagnie de Dominique Vidal, aujourd’hui directeur de Yahoo Europe, ils reviennent sur une relation avocat-manager qui a eu également son importance.

Private Equity : Comment s’est déroulée votre collaboration ?

Dominique Vidal : Samira nous a accompagnés depuis le début et on a pu développer une vraie relation de confiance. A chaque fois que je venais vers elle en disant «j’ai une idée», que ce soit une acquisition, un accord commercial, elle ne nous a jamais bloqué. Elle a su trouver des outils pour se mettre au service du développement et négocier avec de multiples intérêts. Surtout, j’ai apprécié de n’avoir qu’un seul interlocuteur. 

Samira Friggeri : Kelkoo, c’est avant tout une belle aventure humaine. La mayonnaise a pris entre les managers, les investisseurs. J’ai vraiment l’impression d’avoir eu la chance de travailler avec une dream team. Après, mon rôle, c’est effectivement de mobiliser tous les outils possibles, avec le plus grand pragmatisme, de rendre les choses simples. Lorsqu’il s’est agi de négocier avec les actionnaires de filiales, de rémunérer les managers, et on a fait une utilisation intensive des BSPCE, de réunir des intérêts divergents au moment de la sortie…

Private Equity : Quels ont été les points critiques ?

Dominique Vidal : Il y en a eu beaucoup. Arriver à lever un «trésor de guerre» en 2000 qui nous a permis de traverser la crise. Réduire la voilure en 2001, notamment pour supporter la bulle Internet et redéployer notre stratégie mais également lors des acquisitions. Lors de celle de Zoomit par exemple, qui avait plus de 50 actionnaires, sans pacte et où les titres ont été négociés sur un «marché gris». Des nuits difficiles de négociation, où j'ai apprécié la disponibilité de Samira.

Samira Friggeri : Des négociations difficiles, il y en a eu à chaque étape importante de la vie de l’entreprise. Trois acquisitions, des réductions des participations à l’occasion des nouveaux tours de table, négociation de la sortie. A chaque occasion, il fallait aller vite, avec un actionnariat éclaté. Mais à chaque fois, on a réussi à trouver un consensus entre toutes les parties, portées par le projet des managers. Mon objectif était de continuer à leur permettre d’avancer. 

Private Equity : Comment avez-vous géré la sortie ?

Dominique Vidal : Une fois la décision acquise, un petit nombre d’investisseurs a pris le lead. Tout le monde acceptait leurs décisions. Surtout, même si les opinions sur le futur de Kelkoo pouvaient diverger, ils ont fait confiance au management, en nous laissant une grande latitude. Et le choix de Yahoo s’est imposé comme celui qui permettrait d’assurer la pérennité et le développement de la société. 

Samira Friggeri : Il est sûr que lorsque les conseils de Yahoo ont regardé la table de capitalisation – il y avait alors environ 380 actionnaires – on a pu sentir un léger effroi. Mais là encore, le pragmatisme a payé. Une fois la décision de céder prise, il a fallu avancer avec un pacte qui ne liait que les actionnaires principaux, et respecter la confidentialité. On a réussi à ramasser 100 % des actions et à boucler le tout en deux mois.

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