La résilience et la performance des logiciels, notamment ceux sous modèle SaaS, apprécié pour la prévisibilité des revenus, continuent de séduire les investisseurs. Si les prix des jeunes sociétés se sont légèrement tassés, ceux des actifs les mieux établis ou positionnés sur des segments en vogue, comme l’IA, demeurent élevés.
Il figure sans aucun doute parmi les secteurs favoris des investisseurs. Des VCs aux fonds de LBO, des acteurs du small cap aux spécialistes de l’upper mid et du large cap, tout le spectre du capital-investissement se penche de plus ou moins près sur les éditeurs de logiciels BtoB. Il faut dire que ces derniers remplissent presque à la perfection la check-list de la cible idéale. Tout d’abord, le mouvement de digitalisation des différents pans de l’économie garantit une croissance structurelle au secteur. Le profil de marge est également attractif avec des taux d’Ebitda se situant entre 25 % et 35 % pour les sociétés performantes. Troisième atout, la visibilité apportée par les modèles SaaS. Ces derniers sont aujourd’hui très répandus, puisque les deux tiers du chiffre d’affaires consolidé des principaux éditeurs français sont issus d’abonnements selon le dernier baromètre EY. « Ces logiciels offrent des revenus récurrents, avec une forte lisibilité sur la trésorerie future, indique le cofondateur de la banque d’affaires tech Clipperton, Stéphane Valorge. L’analyse de l’évolution de l’ARR et du taux de rétention net des clients permet de réaliser des projections de chiffre d’affaires d’un bon niveau de fiabilité. De même, pour les solutions vendues en ligne à une clientèle de PME voire de TPE, on peut estimer le nombre de clients acquis en fonction du niveau d’investissement marketing. »
À ce profil financier séduisant viennent s’ajouter les opportunités de consolidation du marché. « Les logiciels se prêtent plutôt bien à la constitution de plateformes qui acquièrent des sociétés complémentaires en termes de produits ou de géographies », poursuit le banquier d’affaires. Plusieurs groupes mènent en effet une stratégie de build-up particulièrement active, à l’image de Septeo récemment valorisé 3 milliards d’euros lors de l’entrée de Téthys Invest et du fonds souverain singapourien GIC aux côtés de son actionnaire majoritaire Hg Capital. L’éditeur de logiciels métier a par exemple acheté il y a quelques mois la solution de conciergerie Cool’nCamp ainsi qu’Ymag, un logiciel pour les organismes de formation. Contrôlé depuis l’été dernier par Francisco Partners et l’actionnaire historique TA Associates, Orisha a, lui, réalisé pas moins de six acquisitions en 2024. Quant au spécialiste des emailings et CRM Brevo (ex-Sendinblue), il a mené une dizaine d’opérations de croissance externe depuis sa création en 2012.

« Même si le produit doit parfois être adapté au marché local, sa commercialisation n’implique pas d’équipe sur place, contrairement à une activité de service », Philippe Crochet, Keensight Capital
Vertical vs horizontal
La participation de Bridgepoint, qui est entré à son capital en 2020, se distingue des deux autres par son positionnement horizontal, autrement dit pouvant s’adresser à tous les types d’activités, contrairement aux éditeurs dits verticaux, puisque spécialisés sur les besoins d’un ou de plusieurs secteurs en particulier. « Nous voyons beaucoup d’opérations capitalistiques portant sur des éditeurs horizontaux, remarque Jean-Christophe Pernet, associé chez EY spécialiste du secteur technologique. Ce sont des modèles généralement un peu plus résilients dans des contextes d’incertitude économique, car moins soumis aux aléas sectoriels. » En début d’année, Bridgepoint et General Atlantic ont par exemple sorti de la cote le spécialiste de la digitalisation des directions des finances, des achats et du service clients, Esker, valorisé à cette occasion 1,6 milliard d’euros. Bridgepoint a également organisé le LBO primaire de la plateforme intranet LumApps, tandis qu’IK Partners est entré, comme actionnaire minoritaire, au capital de l’éditeur de logiciels RH Octime dans le cadre d’un nouveau LBO. Les spécialistes de la cybersécurité sont également dans le viseur des fonds, à l’image d’Exclusive Networks qui fait l’objet d’une OPA menée par Permira et Clayton, Dubilier & Rice le valorisant 1,7 milliard d’euros. « Une grande partie de notre thèse d’investissement se positionne sur ce que l’on appelle les “tech enablers”, développant des plateformes transverses ou horizontales et souvent agnostiques des industries ou secteurs concernés, comme le cloud ou la cybersécurité par exemple, car le champ des clients auxquels nous pouvons nous adresser est très large », témoigne Pauline Roux, managing partner d’Elaia. Le VC a par exemple investi dans les logiciels de cybersécurité HarfangLab et Enso (revendu depuis à Snyk). « Nous accompagnons également des éditeurs plus verticalisés quand les marchés adressables sont vastes, à l’image de Shift Technology qui a développé une solution IA de détection de fraudes et de gestion des plaintes et sinistres pour les assureurs », ajoute l’associée.
3 questions à Daniel Kofie, directeur M&A d’Orisha

Co-détenu par TA Associates et Francisco Partners, l’éditeur de logiciels métiers Orisha, qui rassemble plus de 2 000 salariés et a enregistré plus de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024, se montre particulièrement actif en termes de croissance externe. Son directeur M&A, Daniel Kofie, présente sa stratégie.
Daniel Kofie ©Cyril Bailleul
Private Equity Magazine : Orisha participe depuis plusieurs années à la consolidation du secteur des logiciels BtoB. Quels sont les principaux axes qui guident ces opérations ?
Daniel Kofie : Notre stratégie M&A repose sur trois axes. Tout d’abord, comment pouvons-nous nous renforcer sur les secteurs que nous servons, à savoir l’immobilier, le retail, la santé, la construction et l’agroalimentaire ? Nous regardons des sociétés susceptibles de compléter notre offre sur ces métiers avec de nouvelles fonctionnalités. C’est ce qui a guidé par exemple la reprise, l’année dernière, de Wolfpack DCS. Cette société néerlandaise propose une solution permettant une gestion unifiée des ventes des magasins physiques avec celles des canaux en ligne ; un produit que nous n’avions pas en interne. Ensuite, les acquisitions peuvent venir accélérer notre expansion à l’étranger. C’est d’autant plus important pour nous que de plus en plus de nos clients sont des groupes internationaux. Aujourd’hui, environ 20 % de notre chiffre d’affaires est réalisé hors de France. Enfin, la reprise d’un éditeur représente aussi parfois l’occasion de développer une nouvelle verticale. Typiquement, l’acquisition de Gaïana a été l’occasion de créer notre pôle Agrifood.
P. E. M. : Comment choisissez-vous les verticales sur lesquelles vous souhaitez vous positionner ? Sur quels critères vous basez-vous ?
D. K. : Il est essentiel que l’utilisation d’outils technologiques soit ancrée dans la pratique du métier. Les cliniques, par exemple, ont besoin d’un logiciel pour suivre le parcours de leurs patients. De même, les logiciels de caisse sont indispensables aux commerces. L’emploi de solutions digitales est parfois plus récent, comme dans le secteur de la production agricole, mais nous veillons, dans ce cas, à ce que le taux d’adoption soit en progression constante. Enfin, nous privilégions des secteurs relativement résilients.
P. E. M. : L’internationalisation est un objectif poursuivi par de nombreux acteurs du secteur. La croissance externe est-elle, selon vous, la voie privilégiée pour se développer à l’étranger ?
D. K. : Il est souvent plus simple et plus efficace de s’implanter dans un pays en reprenant un acteur établi, porté par un management connaissant la culture et les pratiques locales. Nous pouvons ainsi tout de suite avoir une part de marché significative. De plus, sur certains secteurs comme celui de la santé, des contraintes réglementaires spécifiques à chaque pays viennent complexifier les exportations. Aussi, nous appuyons-nous souvent sur la reprise d’un éditeur local pour lancer un nouveau marché, puis nous élargissons son offre en intégrant nos propres solutions à son portefeuille.
Les éditeurs tricolores conservent leurs ambitions d’acquisitions

Selon le dernier baromètre EY et Numeum, plus de la moitié des sociétés de logiciels prévoient de faire au moins une acquisition prochainement, notamment pour se déployer à l’étranger.
Jean-Christophe Pernet
Preuve de sa résilience, le secteur du logiciel maintient sa croissance. Les 265 éditeurs français interrogés par EY et Numeum dans le cadre de l’étude « Top 250 des éditeurs de logiciels » ont vu leur chiffre d’affaires globalisé atteindre 21,7 milliards d’euros en 2023, soit une hausse de 7,6 % comparée à l’année précédente. « La croissance est assez homogène entre les sociétés, souligne Jean-Christophe Pernet, associé d’EY spécialiste du secteur technologique. Au sein des éditeurs sectoriels, 87 % des entités voient leur chiffre d’affaires progresser et 73 % ont une croissance supérieure à 5 %. Les chiffres sont assez similaires chez les éditeurs horizontaux, avec 87 % des sociétés interrogées en croissance et 76 % avec une croissance supérieure à 5 %. » La sortie de nouvelles solutions constitue, selon le panel, le premier levier de développement, suivi par l’upselling (augmentation des ventes auprès des clients existants).
Une stratégie M&A dynamique
Les opérations de croissance externe sont, quant à elles, citées en troisième position et restent au cœur de la stratégie des acteurs. Plus d’un quart du panel (28 %) déclare ainsi avoir réalisé une acquisition dans le courant de 2023 contre 22 % en 2022. Ce dynamisme M&A devrait d’ailleurs se maintenir, puisque 54 % des sociétés interrogées pensent réaliser une opération dans un futur proche, une proportion stable par rapport au précédent baromètre. « En moyenne, les valorisations ont baissé, créant des opportunités d’acquisitions pour les acteurs bien financés, note Jean-Christophe Pernet. Par ailleurs, les actionnaires, notamment financiers, sont devenus plus exigeants en matière de rentabilité, y compris pour les sociétés les plus jeunes. Cet arbitrage en faveur de la rentabilité peut parfois ralentir la croissance, faisant de ces entreprises des candidates à ces rachats. »
Les acquisitions sont notamment vues comme une voie efficace pour accroître la dimension internationale d’un groupe : plus de la moitié des éditeurs visent ainsi des cibles étrangères. D’ores et déjà, les entreprises interrogées génèrent en moyenne 56 % de leur chiffre d’affaires hors de nos frontières, une proportion significative et relativement stable dans le temps. Il existe néanmoins sur ce sujet une prime à la taille, la part des ventes à l’export augmentant avec le niveau de chiffre d’affaires : 12 % pour les entreprises de moins de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, contre 62 % pour les entreprises de plus de 100 millions d’euros de revenus.
L’enjeu de l’intelligence artificielle
Si le cloud et le SaaS demeurent en tête des projets d’investissement des éditeurs, ils sont désormais talonnés de près par l’intelligence artificielle : 74 % des entreprises interrogées placent l’IA dans le top trois de leurs priorités technologiques. « L’IA représente un changement majeur, a minima aussi important que celui du modèle SaaS de ces dernières années, appuie Jean-Christophe Pernet. L’IA agentique va transformer les modèles avec des logiciels plus autonomes et en capacité d’analyser et de prendre des décisions. C’est une opportunité pour les éditeurs de mieux développer leur offre. » 40 % des éditeurs interrogés ont d’ailleurs déjà intégré de l’IA générative dans leur offre et 42 % prévoient de le faire dans les deux années à venir.
« Les logiciels sont souvent basés sur du traitement de données sur lequel l’IA peut s’avérer très efficace, confirme Stéphane Valorge, associé de la banque d’affaires Clipperton. Les éditeurs s’interrogent tous sur la manière d’implanter cette technologie dans le développement de leurs produits afin de gagner encore plus en productivité. » Beaucoup mènent cette quête via de la R&D en interne, mais certains usent d’acquisitions pour se doter de nouvelles briques technologiques. Le spécialiste du traitement de données Chapsvision (soutenu par Qualium Investissement, Geneo Capital Entrepreneur, Tikehau Capital et Bpifrance) a ainsi repris Sinequa, un moteur de recherche d’entreprise augmenté par l’IA accompagné par Jolt Capital.