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D.R.

D’ici à 2028, les encours des fonds de dette privée au niveau mondial pourraient atteindre 3 000 milliards de dollars. Si cette estimation délivrée par Moody’s dans une note d’analyse* récente se confirme, il s’agirait d’un doublement de la taille du marché par rapport à 2023. Dès cette année, « la taille et l’envergure des marchés mondiaux du crédit privé continueront de croître rapidement sous l’effet de la baisse des taux d’intérêt, du recul du risque de défaut et de la solidité économique affirmée dans les régions développées telles que les États-Unis et l’Europe, estiment les experts de l’agence de notation. Les sponsors de private equity auront à cœur de boucler davantage de transactions en 2025, offrant ainsi aux prêteurs directs la possibilité de déployer leur dry powder de 300 milliards de dollars. L’activité de rachat par effet de levier continuera sur la trajectoire d’accélération amorcée à la fin de l’année dernière, de concert avec de nouvelles opérations de refinancement. Selon Pitchbook LCD, certaines estimations tablent sur un niveau d’émissions en 2025 peu ou prou comparable à celui de l’année dernière, lorsque les nouveaux volumes se sont élevés à 500 milliards de dollars (hors réévaluation des prix), soit le niveau le plus élevé depuis 2021 et plus du double de la production de 2023 ».

Au-delà des projections chiffrées, ces anticipations mettent en lumière le poids immense pris par la dette privée sur le marché du financement au cours des dernières années. Tous les professionnels du conseil comme de l’investissement s’accordent à dire que sa montée en puissance est, à n’en pas douter, le phénomène marquant de la double décennie écoulée. « Il est communément admis que l’avènement de l’unitranche en France se situe au tournant des années 2010. Il s’agissait à l’époque de financer une société dans le domaine des laboratoires d’analyses médicales dont le fonds actionnaire avait envisagé peu de temps auparavant un prêt présentant à peu près les mêmes caractéristiques au profit d’une autre société cotée pour laquelle la base de clients bancaires imposait la plus grande confidentialité et rapidité, raconte Cécile Mayer-Levi, alors en première ligne en tant que membre de l’équipe d’Axa Private Equity et précisément à l’origine de cette première opération. Avant cette date, les banques dominaient largement le marché du financement LBO avec, parfois, le concours de fonds de mezzanine pour mettre en place une tranche subordonnée. Aujourd’hui, les encours au niveau mondial se répartissent peu ou prou en trois parts égales, d’environ 2 000 milliards de dollars chacune, entre le high yield, la dette privée et les leverage loans. »

Désintermédiation

L’étincelle à l’origine de cette vague de désintermédiation, dont les répliques n’ont probablement pas encore toutes eu lieu, a été la grande crise financière de 2008. « Avant 2008, le marché s’organisait très largement autour des capacités d’underwriting des banques et les equity cushions étaient dans bien des cas très faibles ; il pouvait arriver que des deals se structurent avec seulement 20 % de fonds propres. C’était une période assez grisante où tout le monde disposait de beaucoup de liquidités, se rappelle Virginie Gasnier, aujourd’hui à la tête de l’activité de debt advisory d’Alvarez & Marsal pour la France et l’Espagne, à l’époque chez BNP Paribas. À partir de 2009, les banques ont commencé à revenir, mais sous la forme de club deals qui se structuraient au gré des opérations. Toutefois, les prêteurs mettaient bien souvent du temps à trouver des accords et les process de financement se rallongeaient. C’est alors que certains fonds de mezzanine ont décidé de se positionner sur l’unitranche afin de ramener de la fluidité et de la vitesse d’exécution à un marché grippé, même sur le segment des plus petits deals. » Progressivement, une dichotomie s’est instaurée entre anciens mezzaneurs, certains optant pour un approfondissement de leur rôle de financeurs en dette et d’autres choisissant de déployer une stratégie proche de l’equity, posant les prémices du marché du « flex equity », dont la nouvelle segmentation se fait en ce moment même entre ces pionniers désormais exposés au mid to upper midcap, et des nouveaux venus, qui tentent de se faire une place sur un small market ainsi libéré.

De manière plus fondamentale, le fait que la dette privée devienne un produit de financement mainstream de plus en plus prisé des fonds de private equity a eu pour effet de faire évoluer les pratiques de tous les acteurs, notamment bancaires. « Avec l’essor du direct lending et du debt advisory, les process de financement se sont professionnalisés et industrialisés. Dans la première moitié des années 2000, il n’était pas rare que les contrats de crédit soient rédigés par les propres équipes de juristes des banques. Par la suite, l’intervention des cabinets d’avocats est devenue la règle. L’autre conséquence a été le renforcement de la concurrence dans un contexte où peu d’entreprises étaient éligibles à des LBO, attestent Hervé Rinjonneau et Étienne Pirard, respectivement directeurs des départements COFI (couverture fonds d’investissement/sponsor coverage) et LMBO (leveraged finance) de Banque Palatine. Nous avons assisté à une sophistication de l’offre dès 2010 avec les seconds liens, la mezzanine… Par la suite, nous avons intégré dans nos structures de financement la désintermédiation en proposant des tranches de dette à des institutionnels, les tranches C. » Les établissements de crédit traditionnels ont été soumis à une forte pression sur le pricing de leurs financements tout en montrant patte blanche à des régulateurs qui n’en finissaient pas d’augmenter leurs exigences. De même, ils ont été contraints de gagner en agilité pour essayer de résister au rouleau compresseur de fonds où les circuits de prise de décisions sont beaucoup plus ramassés et rapides. « L’une des tendances de ces dernières années est l’entrée d’acteurs internationaux sur le marché du financement, qui a poussé à la baisse son coût pour l’emprunteur, entraînant un renforcement de la concurrence avec les banques, constate Paul Assaël, responsable du conseil en financement chez Edmond de Rothschild Corporate Finance. Par ailleurs, le marché reste soumis à des cycles liés à l’évolution de l’Euribor : s’il augmente, le service de la dette s’accroît, ce qui se traduit par une baisse des leviers et un regain de compétitivité pour les banques. »

Segmentation

Au fil des années, une segmentation du marché s’est matérialisée, qui reste encore largement valable aujourd’hui. Dans ses grandes lignes, elle fait du midmarket le terrain de compétition le plus disputé entre fonds de dette et banques sous le regard des sponsors equity. En dessous, le small cap reste largement bancarisé tandis qu’au-dessus, en large cap, les unitrancheurs montrent d’autant plus volontiers les muscles qu’ils ont, pour certains d’entre eux, levé des fonds énormes dotés de plusieurs milliards d’euros. « Depuis quatre ans et la crise sanitaire, il n’y a plus vraiment de limite à la taille des structurations unitranches avec des records qui s’enchaînent outre-Atlantique », observe Cécile Mayer-Levi, aujourd’hui responsable de la dette privée chez Tikehau. L’une des plus grosses dettes unitranche de tous les temps a été structurée il y a quelques mois pour le compte d’Adevinta : 4,5 milliards de dollars fournis par un consortium comprenant CPPIB, Blackstone Credit, GIC, ICG, Arcmont, Sixth Street, Goldman Sachs, PSP, Apollo, Blue Owl, CDPQ, Oaktree, Oak Hill, T. Rowe Price et HPS. En outre, complète Cécile Mayer-Levi, « les fonds de private equity apprécient beaucoup la flexibilité que leur apportent ces montages dans le cadre de leurs thèses de buy and build. Dès lors, le surcoût par rapport à la dette bancaire est considéré comme peu discriminant à partir d’une certaine taille de deal ».

Le quatrième fonds de dette senior de Capza a fait recette et dépasse 500 M€

Annie-Laure Servel

Capza se donne encore quelques mois – au moins jusqu’à la mi-année et possiblement jusqu’à la fin de décembre – pour engranger quelques souscriptions supplémentaires au fonds de dette senior de quatrième génération géré par sa filiale Artemid. Actif depuis le début de 2024, à la suite de son closing initial de 300 millions d’euros, il a dépassé son objectif de 500 millions et reste donc ouvert pour se rapprocher de son hard cap de 700 millions d’euros. Le vintage précédent, Artemid Senior Loan III, avait réuni 488 millions.

« Quasiment tous les LPs qui nous accompagnent depuis le démarrage de cette stratégie sont revenus dans ce quatrième fonds. Il s’agit très largement d’institutionnels et de family offices français ; nous sommes en discussion avec des acteurs internationaux qui se montrent plus enclins à envisager un investissement lorsque les fonds ont commencé leur déploiement, indique Annie-Laure Servel, directrice générale d’Artemid. ASL IV est aujourd’hui engagé à 40 % dans une douzaine d’opérations et nous en visons entre 30 et 35 environ. L’une de nos ambitions pour ce nouveau fonds est d’en accroître l’exposition à des entreprises à l’étranger : ASL III a investi en Espagne, en Hollande et au Royaume-Uni ; nous espérons renforcer nos positions en Espagne et aux Pays-Bas, et nous implanter durablement en Allemagne. Nous venons d’y boucler notre première transaction à la fin de décembre. »

Pour le reste, la stratégie de dette senior de Capza garde les mêmes fondamentaux : des leviers inférieurs à 4 fois l’Ebitda, un positionnement privilégié en apporteur d’une tranche C aux côtés de banques, des tickets tournant autour d’une vingtaine de millions d’euros et des émetteurs sous-jacents dont l’Ebitda est inférieur à 100 millions d’euros avec un sweet spot de l’ordre de 10-50 millions. Historiquement, son portefeuille est équitablement réparti entre des opérations de LBO et des financements corporates

Les debt advisors profitent de la complexification du marché du financement

Virginie Gasnier

Tout à leur ambition de créer leur propre guichet unique de « GP solutions » dans un contexte global de consolidation des acteurs des services transactionnels, plusieurs cabinets et banques d’affaires ont récemment coché la case du conseil en financement en se dotant de ressources humaines spécialisées. L’un des derniers transferts en date a été celui de Laurence de Rosamel, rejointe rapidement par William Poirson, chez Clipperton. Avant elle, Cambon Part­ners avait chargé Laurent Neubauer, ex-Edmond de Rothschild Corporate Finance, de lancer son activité de debt advisory, tandis qu’Alvarez & Marsal s’est attaché les services de Virginie Gasnier, ancienne de Natixis Part­ners. « Après la grande crise financière, les banques d’affaires avaient des difficultés à gérer les sujets de financement et ont eu besoin de se doter de ressources humaines parlant le même langage que les banques de financement et capables de faciliter les opérations de M&A, retrace cette dernière. Puis notre métier s’est développé au gré des contraintes réglementaires qui ont progressivement touché le secteur bancaire. Son émergence est finalement assez récente en France, mais il est depuis longtemps considéré comme un métier à part entière dans le monde anglo-saxon, avec des acteurs bien implantés. » Désormais adossé à Houlihan Lokey, GCA Altium en faisait partie, de même que le spécialiste Marlborough.

Internalisation ou prestation de services ?

Deux modèles cohabitent pour la constitution de ces expertises de debt advisory : soit elles se déploient en lien étroit avec l’équipe M&A de leur maison, soit elles se développent de manière plus autonome. Une troisième voie tend même à se dessiner sous l’impulsion des fonds d’equity : « Aujourd’hui, des fonds large cap se dotent de leurs propres équipes Capital markets. En midcap, certains réfléchissent à internaliser cette expertise, mais cela représente des coûts pour la société de gestion. En outre, le recours à des conseils extérieurs comme les nôtres leur permet de bénéficier d’une veille de marché à 360 °, agnostique en termes de types de financement et de contreparties, en bénéficiant d’une équipe projet dédiée », signale Virginie Gasnier. Quoiqu’il en soit, le marché est probablement suffisamment profond pour tout le monde si l’on considère que plus de la moitié des transactions n’embarquent pas aujourd’hui de conseil en financement spécifique.

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