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Par Sophie de Fontenay, secrétaire générale et membre du directoire de Raise, Florence Moulin, avocate associée, et Clémence Helfer, avocate, chez Jones Day.

De gauche à droite : Sophie de Fontenay, Florence Moulin et Clémence Helfer

Au cours des deux dernières décennies, la finance responsable a cessé d’être un simple créneau marginal pour s’imposer comme un axe structurant de l’industrie financière. Sous l’effet conjugué de la pression sociétale, de l’évolution réglementaire et de l’engagement croissant des investisseurs et des entrepreneurs, les acteurs financiers tendent de plus en plus à concilier recherche de performance et contribution au bien commun. Dans ce contexte, les fonds de partage, dont le premier a été créé en 1983, offrent aux investisseurs la possibilité de faire don, dans un cadre juridique et, le cas échéant, fiscal spécifique, de tout ou partie de leurs revenus du fonds à des associations ou projets philanthropiques.
En ce qui concerne le private equity, les initiatives se sont développées depuis peu : le premier véhicule a été lancé en 2017 par Generis Capital au profit du Réseau Entreprendre. De son côté, Raise, pionnier de la finance engagée, place depuis plus de dix ans la philanthropie au cœur de son modèle à travers un fonds de dotation financé par le don de carried de ses équipes d’investissement. Dans cette continuité, Raise a closé, en fin d’année dernière, un fonds de partage dédié au financement de causes liées à l’enfance (éducation et recherche). Il repose sur un mécanisme unique : les LPs donnent 50% de leur plus-value et Raise 50% de ses commissions de gestion, au bénéfice de plusieurs associations de bien commun. Encore trop méconnus, les fonds de partage n’en constituent pas moins un laboratoire d’innovation financière et sociale, où s’expérimentent de nouvelles façons d’articuler rendement, solidarité et financement philanthropique.

Le cadre juridique du fonds de partage

Il résulte uniquement de la réglementation AMF. Un fonds de partage est celui qui s’engage à faire un don, directement ou indirectement, à un ou plusieurs organismes listés aux articles 319-16 ou 321-120 du règlement général de l’AMF. La première condition tient au fonds lui-même. Le fonds de partage n’est pas un véhicule spécifique, mais une appellation2 réservée aux fonds qui s’engagent à faire des dons. Ce label peut donc être recherché par tout type de fonds (private equity, immobilier, infrastructure, coté…) à condition d’être français et constitué sous la forme d’un OPCVM ou d’un FIA (y compris un « autre FIA », comme une SCR ou une SAS). Il semble que rien ne s’oppose à ce qu’une société de gestion étrangère puisse gérer un tel fonds. Ainsi, le régime des fonds de partage ne se substitue pas aux règles applicables aux OPCVM et FIA, mais s’y superpose.

La deuxième condition concerne les bénéficiaires du don, qui doivent être autorisés administrativement à en recevoir (associations reconnues d’utilité publique ou, plus largement, organismes éligibles au mécénat, associations cultuelles ou de congrégations religieuses3). La forme juridique du bénéficiaire (association, fondation, établissement public, etc.) est indifférente, mais les sociétés commerciales et, plus largement, les entités poursuivant un but lucratif, sont exclues.

Enfin, la troisième et dernière condition est que le principe et les modalités du don doivent être clairement définis dans le prospectus du fonds, pour s’assurer d’une parfaite information de l’investisseur (et le cas échéant pour déterminer le montant de son avantage fiscal) et de l’organisme bénéficiaire, tout en garantissant que la société de gestion et le dépositaire soient en mesure d’exécuter correctement les engagements pris. L’AMF précise à ce titre que la méthodologie de calcul doit être déterminée précisément et durablement et que la société de gestion ne doit pas pouvoir influer de façon notable sur le montant du don.

Dès lors, la documentation du fonds de partage devra déterminer :

– l’objet d’un don. Le don peut être réalisé en espèces (les sommes distribuables : revenus et/ou plus-values du fonds ou les deux, y compris le cas échéant au titre du carried interest) ou en nature (titres de société détenus par le fonds), voire par l’abandon des commissions de gestion. Dans tous les cas, ce sont bien les investisseurs et/ou la société de gestion, selon les modalités retenues, qui seront considérés comme donateurs et qui pourront bénéficier d’éventuels avantages fiscaux ;

– le niveau du don. Le fonds de partage n’est pas tenu de reverser 100 % des produits ou des plus-values qu’il reçoit. Il n’est donc pas incompatible avec l’idée de réaliser un gain. Ce pourcentage est librement déterminé et peut même varier au sein d’un même fonds. Lorsque le véhicule le permet, il est recommandé de créer différentes catégories de parts aux profils plus ou moins généreux ;

– les bénéficiaires des dons. Il peut y en avoir un ou plusieurs, déterminés ou déterminables. Les LPs d’un même fonds peuvent choisir, selon leur sensibilité aux causes, de faire leur don à tous ou seulement à certains via des parts « traçantes », lorsque le type de véhicule le permet ;

– le don est réalisé par le fonds, soit directement au(x) bénéficiaire(s), soit par le biais d’un intermédiaire.

Comme pour le cadre juridique, le cadre fiscal du fonds de partage dépend d’abord du véhicule utilisé pour le constituer. Toutefois, en adoptant le statut de fonds de partage, il pourra, sous certaines conditions, ouvrir droit à une réduction d’impôt dite « mécénat » pour les donateurs résidents, si le don est réalisé en faveur d’une des entités mentionnées à l’article 238 bis du CGI : elles ne sont que partiellement les mêmes que celles visées par le règlement général de l’AMF, si bien qu’un fonds de partage n’ouvre pas systématiquement droit à une réduction d’impôt pour les résidents.

L’abandon, par les investisseurs personnes morales ou les gérants résidant en France, de distributions, autres produits ou commissions qui leur sont dus par le fonds et dont ils ont eu la disposition, ouvrira droit à la « réduction d’impôt mécénat » égale en principe à 60 % du don4, retenu dans la limite d’une somme égale à 20 000 euros ou, si cette somme est supérieure, à 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. Si bien qu’en tout état de cause, la réduction d’IS sera plafonnée à 12 000 euros par an (tous dons confondus) et à 66 % du don, retenu dans la limite d’une somme globale (prenant en compte l’ensemble des dons effectués par le contribuable) égale à 20 % du revenu imposable5. Il convient de noter que le donateur sera fiscalisé sur l’ensemble des sommes auxquelles lui donne droit son investissement (ce inclus, en principe, la partie qui a fait l’objet d’un don), sous réserve du bénéfice d’une exonération totale ou partielle lorsque le fonds est un FPCI ou une SLP dite « fiscale », applicable aux distributions des gains en capital réalisés par le fonds. L’application des mécanismes fiscaux susvisés au fonds de partage en fait un outil fiscal très performant.

Outre l’avantage fiscal, quels sont les autres avantages du fonds de partage ?

Le don d’une partie des plus-values au profit d’associations réduit mécaniquement le rendement pour l’investisseur. Cette perte, souvent modeste, peut être compensée par un carried inférieur aux pratiques de marché et une stratégie d’investissement dérisquée. Néanmoins, elle peut freiner certains LPs, surtout dans un contexte de taux bas, où chaque point de performance compte. Cette contrainte limite leur compétitivité face aux autres véhicules ISR plus classiques.

Autre avantage : leur capacité à générer un impact social immédiat et tangible. Les fonds de partage instaurent un mécanisme simple : une partie des plus-values est reversée à une organisation d’intérêt général et vient ainsi compléter l’offre des fonds à impact, ISR ou ESG, dont la contribution repose sur le financement de projets répondant à des critères ESG ou d’impact. Ils apportent donc une diversification bénéfique à l’ensemble de l’écosystème en stimulant l’innovation, en attirant de nouveaux profils d’investisseurs et en permettant aux sociétés de gestion d’élargir leur gamme de produits. Cet effet direct est d’autant plus significatif qu’il crée un lien concret entre les parties prenantes : les investisseurs acceptent dès le départ de reverser une partie de leur plus-value à venir à des organismes choisis, les entrepreneurs participent à la création de valeur partagée en accueillant les fonds de partage à leur tour de table et les sociétés de gestion s’emploient à maximiser cette création de valeur avec les entreprises accompagnées.

Les fonds de partage offrent aussi de la simplicité. Pour un particulier, il n’est pas nécessaire d’opérer un choix actif de redistribution, ni de se confronter à la complexité des dispositifs fiscaux de mécénat : le mécanisme est intégré au produit. L’investisseur peut déléguer au gestionnaire la sélection des associations partenaires, la gestion de la répartition et le choix du pourcentage du don.

Malgré leur potentiel, ces fonds restent confrontés à un problème d’échelle. Les sommes redistribuées, bien qu’en croissance régulière, demeurent marginales par rapport aux besoins du secteur associatif et aux financements nécessaires, dans un contexte de baisse de subventions. À la fin de 2021, ils représentaient un encours de près de 3 milliards d’euros, soit près de 10 % de la finance solidaire, en nette croissance.

Comme pour l’ISR ou l’ESG, la transparence des fonds de partage est un enjeu majeur. Si les associations bénéficiaires ne sont pas clairement identifiées et rigoureusement analysées, ou si les montants redistribués restent faibles par rapport aux encours totaux, le risque de « social washing » est réel. D’où l’importance d’un processus rigoureux de sélection des associations et d’une gouvernance indépendante pour garantir l’intégrité du dispositif.

L’essor des fonds de partage reflète l’engagement grandissant des parties prenantes du private equity pour décloisonner le monde de la finance et de la philanthropie. Leur mécanisme simple et pédagogique contribue à une finance plus inclusive, mais leur portée reste limitée par l’ampleur des besoins. Le défi est désormais celui du changement d’échelle : demeurer un outil de niche ou devenir un levier structurant de la transition vers une finance solidaire et durable.

1 Le fonds « Faim et Développement », lancé par Crédit Coopératif.

2 L’ AMF indique dans sa doctrine 2012-15, que « pour pouvoir user de cette qualification de placement collectif “de partage”, le véhicule doit respecter les règles spécifiques précisées dans la présente position ».

3 Les organismes bénéficiaires des dons sont de trois types : i) ils sont détenteurs d’un rescrit administratif attestant qu’ils entrent dans la catégorie des associations à but exclusif d’assistance, de bienfaisance, de recherche scientifique ou médicale, ou d’association cultuelle, ii) ils sont détenteurs d’un rescrit fiscal attestant qu’ils sont éligibles au régime des articles 200 ou 238 bis du CGI ouvrant droit à des réductions d’impôts au titre des dons ou iii) ce sont des congrégations religieuses ayant obtenu la reconnaissance légale.

4 Ce taux est ramené à 40 % pour la fraction des dons excédant 2 millions d’euros.

5 Articles 200 et 238 bis du CGI

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