
« Il n’existe aucun marché aussi profond en termes d’opportunités d’investissement que les États-Unis. À condition de gérer des actifs suffisants ou de porter une stratégie thématique, ils recèlent des possibilités extraordinaires », Virginie Morgon, Ardabelle
En dépit des offensives protectionnistes et des décisions parfois imprévisibles de l’administration Trump, les canaux de discussions et de transactions restent ouverts entre l’Europe et les Etats-Unis. Le pays reste pour beaucoup de GPs une terre promise de capitaux pour leurs fonds et de croissance pour leurs participations, tandis que l’Europe regagne en attractivité auprès des acteurs locaux.
Quelques semaines avant de céder les clés de France Invest à Sophie Paturle, qui lui a succédé à la présidence de l’association, Bertrand Rambaud a accompagné une vingtaine de GPs français1 aux États-Unis et au Canada. Elle s’est étoffée de représentants d’Antin IP et d’Ardian lors de son étape new-yorkaise. Au programme : des rencontres avec une soixantaine d’investisseurs composés de fonds de pension, banques, family offices, consultants en wealth management, universités, assureurs, fondations, etc. « Lorsque nous sommes allés en Amérique du Nord avec France Invest en mai dernier, j’ai senti un réel intérêt de la part de nos interlocuteurs pour le marché européen et je n’ai pas relevé de commentaires de LPs américains qui ne souhaiteraient pas s’exposer à notre continent en raison d’éventuelles tensions, de la guerre en Ukraine…, raconte celui qui, pendant son mandat de deux ans, a partagé son temps entre l’association professionnelle et la direction de Siparex. J’ai aussi été conforté dans ma conviction selon laquelle, pour attirer des capitaux étrangers, il est préférable d’avoir d’abord une présence opérationnelle dans le pays concerné afin d’envisager ensuite un fundraising local. Pour nos portefeuilles de participations, en général très fortement exposées au marché français, la priorité passe par une européanisation croissante de leur activité. En effet, une expansion aux États-Unis nécessite une forte assise, aussi bien financièrement qu’en termes de management et de gouvernance. »

« Pour attirer des capitaux étrangers, il est préférable d’avoir d’abord une présence opérationnelle dans le pays concerné afin d’envisager ensuite un fundraising local », Bertrand Rambaud, Siparex
La plateforme française n’était pas en terrain totalement inconnu outre-Atlantique dans la mesure où elle a noué, il y a déjà longtemps, un partenariat avec le Mouvement Desjardins : celui-ci est actionnaire de Siparex Associés, la holding contrôlant la société de gestion, et cogère avec elle le Fonds transatlantique. Les deux structures travaillent également au lancement d’une nouvelle société de gestion commune, qui porterait une stratégie de buyout. « Nous avons réfléchi à une présence du groupe en Amérique du Nord. Nous avons à ce stade privilégié une présence au Canada. Toutefois, je n’exclus pas que le groupe s’installe aux États-Unis dans un premier temps pour nos activités de VC (XAnge) et pour accompagner le développement sur place de nos entreprises en portefeuille. Sur le segment du midcap, ce n’est pas à l’ordre du jour. C’est en effet un segment de marché important qui comprend une multitude d’acteurs donc une très forte concurrence », conclut Bertrand Rambaud.
Décorrélation des cycles politiques
Ausculté à l’aune des relations transatlantiques, le private equity français et européen affiche une certaine sérénité vis-à-vis de la situation politique aux États-Unis et des décisions parfois difficilement lisibles de leur administration. Évidemment, l’exemple français récent est le plus frappant pour se dire qu’il vaut mieux d’abord balayer devant sa porte avant de donner des leçons au voisin. Mais, au-delà de ces considérations immédiates, les gérants mettent en avant le fait que leurs propres cycles d’investissement sont relativement décorrélés des cycles électoraux : Donald Trump est là pour au moins quatre ans, potentiellement huit au maximum ; eux investissent généralement sur des périodes plus longues et leurs fonds ont des durées de vie de dix à douze ans. Qu’il s’agisse d’attirer des souscripteurs pour leurs propres fonds ou d’accompagner leurs participations dans leur développement stratégique, le sauve-qui-peut ne semble pas du tout de mise, certains acteurs estimant même que le moment est propice pour prendre position ou marquer des points sur ce marché.

« Une société se vendra mieux si elle a des consommateurs américains : ils restent les plus dynamiques, les plus exigeants et les mieux disposés à payer un prix élevé pour un produit de qualité », François Véron, Newfund
« Le marché américain représente environ la moitié de la collecte mondiale et se révèle donc incontournable pour une plateforme ayant des ambitions de croissance globale. Cela reste vrai en dépit des turbulences politiques, tranche Virginie Morgon, l’ancienne présidente du directoire d’Eurazeo, qui a fondé son first time fund Ardabelle. La prédictibilité de la disponibilité des capitaux est probablement plus élevée aux États-Unis que nulle part ailleurs sur la planète. Les institutionnels sont des endowments universitaires, des fonds de pension qui n’ont pas d’autre choix que de placer leurs fonds pour gérer du rendement à leurs allocataires. C’est très différent du fonctionnement de nos LPs européens, notamment des fonds souverains, qui peuvent voir leurs priorités varier en fonction du contexte politique, et des assureurs, qui ont pâti ces dernières années de l’effet dénominateur. » Après avoir installé la plateforme Eurazeo outre-Atlantique, elle cultive encore des liens de grande proximité avec cet écosystème avec son nouveau projet : au printemps dernier, elle et ses associés ont accueilli TPG en tant que « partenaire stratégique » et LP cornerstone de leur premier fonds en cours de levée. « Au-delà des connexions personnelles que je peux avoir avec des dirigeants de TPG, ce partenariat illustre surtout l’alignement de nos intérêts et de nos convictions. En effet, beaucoup de grands allocataires de capitaux américains réalisent que l’Europe a pris de l’avance en ce qui concerne la décarbonation et la transition climatique et sont donc en train d’y rediriger des fonds. De plus, le buyout, que nous couvrons chez Ardabelle, fait figure de “missing middle” dans ces domaines : l’essentiel des stratégies dédiées à cette thématique sont le fait de fonds de venture ou d’infrastructures et les LPs sont d’autant plus intéressés par les équipes qui émergent en buyout », expliquait alors Virginie Morgon, dans nos colonnes. Quant au partnership d’Ardabelle, il est réparti entre les deux rives de l’Atlantique : deux de ses sept associés y sont installés.


