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L'histoire

Marie Brizard de nouveau à l'affiche 13.11.07

OPA ratée, management désavoué… L’histoire avait mal commencé pour Duke Street quand le fonds a repris le spécialiste des spiritueux en 2000. Mais un recrutement judicieux et une bonne diversification dans le vin ont permis le retournement.
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«Catastrophique». Eric Brousse, président du directoire de Marie Brizard, résume à la fois l’image et la situation financière du groupe de liqueurs bordelais à son arrivée en 2002. A l’époque, l’anisette de grand-mère, icône de carte postale de bouquiniste, a perdu depuis longtemps sa place en tête de gondole. La famille du fondateur a été balayée par un pool d’une vingtaine de banques après avoir frôlé le dépôt de bilan. Le portefeuille de marques est à reconstruire. Le réseau commercial à redynamiser. Quelques erreurs comme le rachat des pastis et sirops Berger, ou encore une tentative sur le marché américain sont à effacer.
Le fonds Duke Street, entré au capital en 2000, n’a pas encore réussi à inverser la tendance. L’opération a même démarré sous de très mauvais augures. L’OPA lancée par Duke Street Capital ne permet de récolter que 54% du capital. L’opération de retrait est compromise. Un groupe d’actionnaires entreprend de contrecarrer l’offensive du franco-britannique. Pis, quelques mois plus tard, les deux managers recrutés par le fonds pour assurer la direction du groupe sont débarqués. Le passif a également été sous-estimé. Des difficultés opérationnelles font jour. La logistique ne suit pas. Résultat : le chiffre d’affaires chute. «Les choses ont dégénéré assez vite, et sur tous les sujets», reconnaît aujourd’hui Boris Zaïtra, directeur chez Duke Street, chargé du dossier.

Changement de décor

Début 2005, pour son 250ème anniversaire, Marie Brizard s’offre William Pitters Int., 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, cédé par le négociant bordelais Bernard Magrez. Grâce au portefeuille du distributeur de whiskies, cocktail et téquilas, auprès de la grande distribution, Marie Brizard (whisky Grant, gin Old Lady, Pulco, sirops Sport, etc.), s’assure une place de leader ou de numéro deux sur la quasi-totalité de ses marchés. Le groupe rétablit aussi une facturation équilibrée autour de 40% dans les vins, 40% dans les spiritueux et 20% dans les boissons rafraîchissantes sans alcool.
Mais surtout, il a financé l’opération par endettement, signe de la confiance retrouvée des banquiers. «Ils se sont battus pour venir», témoigne, goguenard, Eric Brousse. Après dix ans dans le rouge, le groupe vient de boucler un exercice bénéficiaire, avec près de 10 millions d’euros de résultat net pour un chiffre d’affaires de 337 millions. Il est passé, depuis 2002, d’une dette de 80 millions à zéro, pour un Ebitda de 35 millions. «L’acquisition William Pitters n’est pas la dernière», promettent en chœur Eric Brousse et Boris Zaïtra, qui se disent en mesure de débourser quelques dizaines de millions supplémentaires pour de nouvelles acquisitions. Une dans le vin, à Bordeaux, pourrait intervenir d’ici à la fin de l’année…

Le salut dans le vin
Histoire d’un retournement réussi ? Pas uniquement. «Généralement, ce type de dossiers passe plus par une amélioration de la rentabilité, par un arbitrage d’actifs que par une augmentation du chiffre d’affaires», rappelle Boris Zaitra. Car le salut de Marie Brizard provient en bonne partie d’une carte audacieusement jouée : le rachat des Chais Beaucairois. Quand il débarque à Bordeaux, Eric Brousse, ancien de chez Casino, a dans ses cartons un projet de build-up dans le vin. Le plus grand site d’embouteillage de France, avec 180 millions de bouteilles par an, 150 millions d’euros de chiffres d’affaires, est mis en vente, justement par Casino. Marie Brizard se met sur les rangs. Le groupe cède plusieurs actifs, dans le mousseux et la distribution aux Etats-Unis, réalise une augmentation de capital sur les Chais et signe son entrée dans le vin. «Une opération de cette taille a constitué un message clair vis-à-vis de la grande distribution et en interne, où les équipes ont compris que nous voulions donner un nouveau souffle au groupe», explique Eric Brousse. Les anciennes équipes, et les nouvelles puisque le nouveau président arrive avec «sa garde rapprochée» et débarque la grande majorité de l’ancienne direction.
Avec les Chais Beaucairois, l’ancien liquoriste Marie Brizard, affiche sa stratégie : se diversifier dans le vin pour se déployer hors de l’Hexagone. «C’est ce que font tous les grands du secteur, assure Eric Brousse. C’est pour cela que Pernod Ricard veut Allied Domecq», en citant les acquisitions dans le vin du britannique Diageo, de l’australien Foster’s, ou de l’américain Constellation. Mais si l’univers atomisé du négoce du vin français lui ouvre des perspectives, la reprise de William Pitters en début d’année a rappelé que le groupe bordelais était bien décidé à ne pas négliger sa position dans les spiritueux. «Les trois segments sur lesquels nous sommes positionnés présentent des tendances différentes. Les liqueurs modernes, par exemple comme la manzana, progressent tandis que les anisettes reculent. Notre exposition géographique est aussi en train d’évoluer puisque, avec les spiritueux, nous étions présents presque uniquement en France et en Espagne, commente Eric Brousse. Surtout, avec plus de 300 millions d’euros de facturation, notre force de vente, la deuxième en France derrière celle de Pernod Ricard, a retrouvé une oreille attentive de la part des acheteurs de la grande distribution. Il y a quelques temps, s’ils passaient deux minutes avec nos commerciaux, c’était le maximum…»
Pour Duke Street, le pari Marie Brizard est donc en bonne voie. A l’image de son opération sur la maison bordelaise, l’histoire du fonds en France a été quelque peu chaotique. Franco-britannique à 50-50, il a privilégié, dans un premier temps, des deals avec des partenaires locaux, avant de constituer une équipe française basée à Londres, puis finalement d’ouvrir un bureau à Paris, fin 2002. Son fonds Duke Street V (845 millions levés en 2002) est investi à plus de 50% avec des participations comme l’afficheur Insert Communication, la chaîne hôtelière B&B et le fabricant d’articles de nautisme Navimo Plastimo. Reste à savoir si la sortie de Marie Brizard sera aussi rondement menée que son retournement.
Marie Guilhem

Repères

> 1755 :
création à Bordeaux de la société d’anisette Marie Brizard
> 1994 :
le liquoriste se spécialise dans la fourniture de spiritueux pour la grande distribution
> 1995 :
rachat des sirops Berger
> 1998 :
la famille du fondateur perd le contrôle du groupe, repris par un pool bancaire
> 2000 :
entrée au capital de Duke Street qui échoue dans le retrait de la cote. Marie Brizard conserve 30% de flottant
> 2002 :
Eric Brousse arrive aux commandes et met en place une nouvelle équipe de management
> septembre 2002 :
Marie Brizard rachète au groupe Casino les Chais Beaucairois signant sa diversification dans le vin
> Mars 2005 :
la société William Pitters tombe dans le giron du liquoriste qui vient de retrouver l’équilibre, après dix années de pertes

Visions croisées Marie Brizard/Duke Street Capital

  • Zoom
    Eric Brousse (Marie Brizard)
    Eric Brousse (Marie Brizard)
    © D.R.

Eric Brousse, président du directoire de Marie Brizard, et Boris L. Zaïtra, directeur de Duke Street Capital, reviennent sur un retournement réussi.

Private Equity : Qu’apporte un fonds de private equity à Marie Brizard?

Eric Brousse : Tant que Duke Street sera majoritaire, je serai tranquille. J’ai devant moi trois ans pendant lesquels la stratégie définie ensemble ne souffrira pas de contestation. J’ai les mains libres, je peux mener à bien les projets qui ont été validés. Comme les gens de Duke Street comprennent vite, je peux travailler sur des perspectives de long terme et non perdre du temps à tout expliquer. Avec eux, j’élimine les faux problèmes, je n’ai jamais de débat de personne. Je vais à l’essentiel.

Boris Zaïtra : La dernière chose que les managers doivent se demander, c’est ce qui se passe au niveau de l’actionnaire. Jusqu’ici, c’est très clair, l’implémentation de la stratégie relève à 100% de leur responsabilité. Là où nous pouvons les aider, c’est sur notre connaissance des métiers de la dette. Nous avons d’ailleurs réalisé un montage assez sophistiqué pour l’acquisition des Chais Beaucairois. En termes de prise dedécision, cela fait gagner du temps aux managers.

Private Equity : Quelle est votre stratégie pour le groupe ?

Eric Brousse : Je veux faire de Marie Brizard un leader dans le vin et les spiritueux. Nous sommes déjà très présents en France et en Espagne. Nous devons nous renforcer dans le vin, compléter notre gamme et être présents dans le reste du monde. Cette stratégie de diversification est d’ailleurs celle de tous les grands groupes. La France compte encore près de 800 entreprises de négoce. La filière viticole a besoin de mesures dures pour se redresser. Le secteur est très atomisé. Nous aurons des opportunités sur cette activité. 

Boris Zaïtra : Depuis le début, le deal est complexe, et surtout très particulier. En général, dans les cas de retournement, on ne s’engage sur des scénarios de croissance mais sur de l’amélioration des performances opérationnelles. Avec Marie Brizard, nous avons pourtant clairement adopté une stratégie de croissance.  

Private Equity : Quels risques pèsent encore sur l’entreprise ?

Eric Brousse : Une mauvaise gestion de l’inévitable sortie. Quel sera le partenaire qui succédera à Duke Street ? Est-ce que ça sera un fonds, un industriel ? Comment va-t-il falloir gérer le changement d’actionnaires ? C’est ce qui m’inquiète le plus. Pour la partie business, tout est bordé. Nous sommes sur un trépied vins-spiritueux-boissons rafraîchissantes sans alcool grâce auquel le risque est bien réparti.

Boris Zaïtra : L’opération n’en présente plus beaucoup. La croissance est assurée, la structure du capital est stable, l’équipe est expérimentée et le secteur assez actif en fusions-acquisitions pour donner des idées aux managers. L’intégration des Chais Beaucairois est réussie, celle de William Pitters ne devrait pas poser de problème. On peut même envisager que des groupes sans distributeur veuillent se rapprocher de Marie Brizard…  

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