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Portraits

Les vertus de l’action concrète 29.07.16

Laurent Vigier, PDG, CDC IC
© D.R.
Laurent Vigier a tracé un sillon au sein des postes de la haute fonction publique et de la CDC, marqué par le souci d’obtenir des résultats tangibles. Il a fait de CDC International Capital un outil reconnu d’investissement de long terme dans les entreprises françaises. Nul doute qu’il partage avec Spinoza l’idée que c’est lorsqu’ils font des actions concrètes que les hommes jouissent effectivement de ce qu’est la vertu…
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Laurent Vigier n’aime pas l’action publique lorsqu’elle est bavarde et inefficace. Reformulé sur le mode positif, cela veut dire avoir le souci des résultats concrets dans tout ce qui est entrepris. C’est sûrement ce qui explique qu’au contraire de beaucoup de ses congénères de la haute fonction publique, il s’investit sur la durée dans les fonctions qu’il occupe. Avec quatre postes en dix-huit ans, il s’est donné à chaque fois les moyens de prendre des sujets et d’aller au fond des choses, seule façon à ses yeux de faire une différence dans l’action. Cette volonté d’être au concret des choses explique peut-être qu’au sortir d’une formation dans les écoles de l’« élite républicaine » et d’un premier poste au sein du ministère des Affaires étrangères, il se soit très rapidement intéressé aux sujets économiques.

Le goût de l’action concrète. Il s’y retrouve très rapidement impliqué dans les négociations internationales, grâce notamment aux compétences qu’il a développées sur les questions liées aux matières premières, dans un ministère où elles sont souvent négligées par les diplomates. La crise asiatique de 1998 le met dans le feu de l’action avec des responsabilités importantes. Un an plus tard, il suit – pour le compte de la DRE du Quai d’Orsay – les négociations de l’OMC à Seattle, où il va notamment beaucoup s’impliquer sur les questions de l’accès aux médicaments. Cela lui vaut d’être appelé en 2002 au cabinet de la ministre des Affaires européennes, Noëlle Lenoir, où il participe au bouclage des négociations sur l’élargissement de l’UE aux pays d’Europe centrale et orientale.

Permettre l’accès aux soins. En septembre 2003, il est appelé au cabinet du président Jacques Chirac où, en tant que conseiller technique, il assiste le « sherpa » sur les questions multilatérales/G8 puis sur les affaires européennes. Lors de trois sommets successifs du G8, il s’investit dans le volet économique des négociations et particulièrement sur les questions de développement (lutte contre les pandémies, UnitAid, taxe sur les billets d’avion, etc.). Il convainc ainsi le président Chirac en 2005 de doubler à 300 millions d’euros la contribution française au Fonds Mondial, et s’active dans la mise en place des premiers financements innovants pour faire baisser radicalement le prix des traitements antirétroviraux, notamment pour les enfants. Cette contribution à la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est une de ses grandes fiertés, de par les résultats tangibles qui ont été obtenus. Un engagement éthique qu’il poursuit à titre bénévole, avec le soutien de la Fondation des Nations-unies et de la Fondation Bill & Melinda Gates, à la tête de l’association européenne des Amis du Fonds Mondial.

Un projet à construire. En 2007, Augustin de Romanet l’appelle à la CDC pour développer les relations du groupe avec les fonds souverains et les investisseurs de long terme internationaux. Laurent Vigier a observé la montée de ces fonds qui disposent d’abondantes liquidités à investir, avec des réactions défensives, notamment en 2005 quand les États-Unis ont essayé d’interdire à l’opérateur portuaire Dubai Ports World d’acquérir cinq terminaux portuaires qualifiés de « stratégiques » par certains sénateurs républicains. En Europe, la Commission européenne a décidé d’examiner de près ce « phénomène nouveau » et la peur d’une « déferlante » anime les dirigeants qui tentent, à l’instar du décret Villepin sur les investissements stratégiques, de s’en protéger. L’objectif qui anime son action tient dans l’idée que ces fonds peuvent peut-être devenir des partenaires. Cela passe par le développement des relations internationales, dans une maison qui, au contraire de son homologue allemande KFW, n’était plus très ouverte sur le monde. L’approche qu’il choisit est d’abord institutionnelle, avec la création du Club des Investisseurs de Long Terme (Cilt). L’initiative s’inscrit dans la volonté de faire émerger une nouvelle forme de diplomatie économique vis-à-vis des pays émergents en fédérant des homologues européens pour pousser un agenda « offensif », dans un contexte où l’évolution des règles prudentielles décourage l’investissement de long terme. Elle va permettre de « jauger » des partenaires éventuels, en regroupant à la fois les banques de développement des pays émergents et ses homologues européens. Des investisseurs institutionnels nord-américains comme la CDPQ ou le fonds de retraite des employés municipaux de l’Ontario les rejoignent. En 2009, Laurent Vigier est nommé au comité de direction de la CDC, à seulement 39 ans. La création de l’Institutional Investors Roundtable en 2011 est dans la suite logique du développement des relations avec les homologues étrangères et les fonds souverains. Véritable « missi dominici » de la Caisse vers les fonds souverains, Laurent Vigier peut tisser un réseau de relation sans avoir à « marketer » un produit. Les échanges permettent de développer des relations de confiance, et lui font entrevoir une fenêtre stratégique résultant du désir de ces acteurs de développer une exposition au marché français et d’investir davantage en direct et en partenariat avec d’autres LPs.

Les premiers fonds. La CDC peut dès lors se positionner comme un catalyseur des investissements en France de ces LPs de long terme. Il lance donc les premiers fonds multilatéraux : Marguerite (710 millions d’euros), Inframed (385 millions) et le fonds PME franco-chinois (150 millions). Pour convaincre les partenaires chinois d’investir dans le premier, il ne faudra pas moins de 15 voyages et d’âpres négociations, alors que la crise de l’euro bat son plein. Ces premiers succès permettent d’envisager une amplification de cette stratégie de partenariats avec toujours en ligne de mire d’amener ces investisseurs internationaux à investir davantage en France, ce qui constitue, au-delà des alternances, un objectif fort des pouvoirs publics. Jean-Pierre Jouyet lui propose de créer toute une structure de gestion et d’investissement au sein de l’entité CDC International Capital. En deux ans, 250 millions d’euros sont investis, avec deux premiers partenariats de co-investissement paritaire avec les fonds du Qatar et d’Abu Dhabi. En parallèle, le réseau s’étoffe à coup de fonds dédiés ou de mandats de gestion avec d’autres institutions telles que le Kingdom Holding d’Arabie saoudite, le CIC chinois, la Russie (RDIF), la Corée du Sud (KIC) ou le Koweit (KIA), portant la capacité d’investissement globale du dispositif à 3,5 milliards d’euros. Cela se traduit notamment par des investissements dans Arc International, InVivo NSA, SGI Africa, Vivalto Santé ou Galileo Studialis. À la tête d’une équipe reconnue de 20 personnes, il investit dans une logique de fonds evergreen avec l’obsession du développement et de la réussite des entreprises françaises dans lesquelles il investit.

Mission réussie donc, pour ce passionné de montagne qui n’oublie jamais que derrière le panorama large, il faut tracer une route cohérente. Il s’envolera d’ailleurs prochainement pour un nouveau trekking dans les montagnes isolées de l’est du Groenland, après avoir parcouru les massifs himalayens du Karakoram, les montagnes célestes du Kirghizistan ou les cordillères du Pérou et de Bolivie. Ces échappées de trois semaines en compagnie d’un petit groupe d’amis, de quelques livres et de bonnes bouteilles, totalement déconnecté des affaires, lui offrent sans doute le plaisir d’un autre rapport au temps. 

Franck Caron
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