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Due diligence : de l’audit à l’étude du risque 06.07.16

« Nous nous retrouvons de plus en plus dans des audits ayant pour enjeu des build-up en France et à l’international pour des entreprises sous LBO. » Olivia Guéguen
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Finances, fiscalité, stratégie sont autant de points sur lesquels les conseils vont tenter de lever les doutes potentiels afin qu’une société de gestion investisse. Cependant, comparés à un audit classique, les rapports établis par les cabinets contiennent aujourd’hui des avis et recommandations sur les niveaux de risque et de rentabilité.
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Zéro : nombre d’investissements réalisés par les GPs sans qu’un conseil ne soit intervenu.

Financier, stratégique, juridique, etc. les moindres recoins de l’entreprise à racheter sont scrutés et analysés. Et l’industrie du conseil est en pleine forme. Ainsi, en France, les grands comme les petits cabinets ont réalisé un chiffre d’affaires cumulé de 5,5 milliards d’euros en 2015. Après une croissance de +2,9 % en 2014, la profession du conseil enregistre pour l’année dernière un taux de croissance record de +6,3 %, se hissant au même niveau de croissance que le secteur du conseil allemand, marché traditionnellement plus dynamique. L’avenir s’annonce radieux, avec une envolée qui devrait se poursuivre en 2016 dans une perspective de croissance de l’ordre de +8 % à +9 % selon une étude réalisée par Consult’in France en partenariat avec Syntec Stratégie et Management. « À titre d’exemple, l’an dernier, le volume d’opérations conseillé a crû de l’ordre de 20 %, explique Gratien de Pontville, associé Transaction Services chez EY. Cette année, soutenue tant par les détourages d’activités de grands groupes que par les opérations de taille moyenne, marque le retour des transactions de gré à gré, laissant une place de choix aux préemptives bien préparées. » Tout dernièrement, mi-juin 2016, le big four a réalisé les due diligences financières pour le compte de Sagard et d’Equistone lors de la sortie de Fläkt Woods (entreprise d’épuration d’air). Si elles sont tellement répandues auprès des sociétés de gestion, c’est que ces dernières ne disposent pas d’un bataillon d’analystes issu de leurs rangs pour affiner suffisamment leurs diligences.

Concentration chez les big four

Il y a plusieurs philosophies en fonction des tailles des marchés sur lesquels évoluent les entreprises. En effet, selon notre base de données, les deals small et midcap vont voir intervenir des petits cabinets d’audit créés parfois par d’anciens professionnels ayant longtemps travaillé pour un des big four. C’est le cas par exemple de Blue Cells, un cabinet spécialisé dans l’accompagnement de petites structures comme Secrets de Polichinelle, site de création de faire-part repris en LBO par IDF Capital fin 2014. Cependant, bien que développant une forte relation de proximité, ils restent sur des marchés très spécifiques et concurrentiels. Face à eux se trouvent leurs anciens employeurs  – KPMG, EY, Deloitte et consorts. Ces véritables machines à mouliner de la data se distinguent par leur capacité à proposer des prestations pluridisciplinaires et livrables dans des délais très courts. « Ces solutions intégrant une offre globale allant de la due diligence financière à la diligence environnementale, en passant par le juridique, le fiscal, les opérations et la stratégie, permettent d’appréhender les conséquences financières de tout l’écosystème d’une cible de façon coordonnée pour des conditions tarifaires raisonnables, très pertinentes pour le mid cap », commente Gratien de Pontville. Et pour accroître ses domaines de compétences, EY n’hésite pas à recruter et, ainsi, étoffer sa force de frappe. En juin 2015, le big four s’est adjoint les services marketing et retail de Jean-Daniel Pick, précédemment partner chez OC&C Strategy Consultants. Par ailleurs, à plus grande échelle, EY a racheté en 2013 Greenwich Consulting, ce qui lui a permis de se renforcer en matière de stratégie de croissance, de marketing, de digital et d’analyse de données. « La proximité de nos services juridiques et fiscaux nous permet d’analyser plus rapidement et de façon plus exhaustive les modifications réglementaires, fiscales ou sociales qui pourraient affecter la rentabilité d’un investissement », continue Gratien de Pontville. Autre grand acteur international à s’étoffer : PwC a intégré en 2015 le cabinet d’avocats Landwell ou encore, en 2014, Booz and Company pour accroître ses capacités en conseil stratégique.

Couple risque/rentabilité

Toutefois, en sus du simple travail d’audit, les rapports rendus intègrent aujourd’hui des recommandations. « Outre la justesse des comptes, qui est un prérequis, aujourd’hui la marque d’une due diligence est de pouvoir discerner pour nos clients les leviers de créations de valeur et de rentabilité », explique Jean-Michel Vignaux, cofondateur de Blue Cell Consulting. Les conseils juridiques eux aussi ont vu la demande de leurs clients évoluer. « Aujourd’hui, les audits sont centrés sur le risque substantiel et non sur le descriptif des documents revus, explique Olivia Guéguen, avocat associée chez Dentons. De plus, l’enjeu est d’arriver à réfléchir en amont sur le bon champ d’audit apporteur de plus-value, en fonction des objectifs du client et de notre connaissance du secteur d’activité. » En effet, pour le fonds d’investissement cela représente un budget qui, affaire conclue ou non, est dû. Selon un observateur d’un fonds d’investissement actif sur le midmarket en France, le budget pour une due diligence d’acquisition complète avoisine le million d’euros en moyenne. « Contrairement aux banquiers d’affaires, qui sont généralement rémunérés à la conclusion du deal, la due diligence est payée à la tâche. Ces coûts sont donc directement pris en charge par le fonds », observe Antoine Ernoult-Dairaine, partner de Sagard.

Diligences intermédiaires

Si les conseils sont peu sollicités entre l’entrée et la sortie d’un fonds au capital d’une entreprise, l’accumulation de build-up destinés à contrecarrer la morosité du marché a pour sa part renforcé leur activité, notamment envers les large cap. « Nous nous retrouvons de plus en plus dans des audits ayant pour enjeu des build-up en France mais aussi à l’international pour des entreprises sous LBO », explique Olivia Guéguen. Dans les faits, cela revient quasiment à réaliser une due diligence d’acquisition. Les conseils interviennent parfois aussi en milieu de vie d’un investissement pour rendre des avis opérationnels. Lors de la crise, ils ont souvent été mandatés par les banquiers sur des sujets stratégiques et financiers, lorsque les covenants venaient à rompre.

En outre, tout comme le management, le fonds a parfois besoin d’un avis extérieur pour lever la tête du guidon. Ainsi entre 2007 et 2016, Omnes a réalisé plusieurs audits commerciaux et stratégiques sur Sateco, une entreprise de conception et de distribution de matériel pour la mise en forme du béton. « Cela nous a permis d’approfondir largement notre compréhension du marché, mais également d’affiner notre vision de la clientèle de l’entreprise et de ses prospects afin de cibler au mieux leurs besoins et les périodes de réinvestissement », résume Philippe Zurawski, directeur d’investissement chez Omnes Capital. Pendant l’actionnariat de Sagard, Cérélia a aussi fait appel à un cabinet spécialisé dans l’industrie pour l’aider à trancher un dilemme. « Nous hésitions, avec le management, entre l’achat d’une nouvelle ligne de production et un capex pour étendre l’existant afin de nous donner les capacités de gestion des saisonnalités à cause d’un pic de commandes en novembre et décembre. Nous n’avions en effet pas les outils internes pour répondre au mieux à cette question », illustre Antoine Ernoult-Dairaine.

Préparer la vente

Le facteur risque reste également très prégnant, notamment pour préparer des ventes à des industriels qui ont de plus en plus recours à l’assurance garantie de passif. « L’étendue et les conclusions des audits ont un niveau direct sur la couverture obtenue. Le produit s’étant amélioré, elle se matérialise majoritairement lorsque des fonds sont à la vente et que l’acquéreur est un industriel. En tout, cette année, elle a été utilisée sur environ 15 % des dossiers traités par le cabinet », constate l’associée de Dentons. Sauf cas de préemption précoce, le fonds vendeur peut réaliser une troisième vague de diligences pour préparer la vente de sa participation. « En anticipant les questions des acheteurs, elle permet au management de rester concentré sur la bonne gestion de l’entreprise, à tout le moins lors des premières étapes du processus de vente », conclut l’associé de Sagard.

Risques financiers, environnementaux, opérationnels, bancaires, fiscaux… les due diligences permettent aux GP d’avancer avec le maximum de visibilité sur le chemin de l’investissement. A cette longue liste manque peut-être un élément : la due diligence psychologique du manager ? 

Baptiste Pourquery de Boisserin

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ILS L'ONT DITEmilie Robien et Sylvain Lambert chez PwC : "Nous réalisons aujourd’hui environ 3 à 4 due diligences ESG par mois, dont un quart est représenté par des vendor due diligences."
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Entretien avec Emilie Bobin, senior manager chez PwC et responsable des activités ESG & Private Equity et Sylvain Lambert, associé Développement durable chez PwC. Très actifs sur le premier semestre de 2016, ils sont notamment intervenus lors de la vendor due diligence réalisé par Apax pour la cession d’Infopro ou encore lors de celle réalisée sur Vivalto Santé dans le cadre de l’entrée au capital de CDC International et du fonds émirati Mudabala Investments. Ils reviennent pour nous sur l’accélération du recours à ces conseils et à leur valeur réelle pour une entreprise.

La due diligence ESG est-elle entrée dans les mœurs ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Nous réalisons aujourd’hui environ 3 à 4 due diligences ESG par mois, dont un quart est représenté par des vendor due diligences. En 2008-2010, ces travaux étaient peu répandus auprès des fonds de private equity. Si une bonne partie est encore réalisée immédiatement après le closing, elles se retrouvent de plus en plus intégrées dans le processus d’investissement. De nombreux fonds – large, mid et aussi small cap – systématisent ces analyses soit par des équipes dédiées en interne, soit par les équipes d’investissement elles-mêmes après une formation, ou encore par des prestataires externes comme nous. Et il existe par ailleurs d’autres acteurs que nous.

Le cas de la vendor due diligence ESG en est une bonne illustration. Elle est de plus présente dans les processus de vente car elle permet d’enrichir l’information donnée sur la participation, et fournit une vision différenciante et pertinente sur la valeur aux potentiels acheteurs.

Comment la rendre indispensable ?

Ce n’est pas forcément la question de la rendre indispensable qui est importante. La montée en puissance est bien sûr liée aux exigences fortes des LPs, mais surtout au fait que le lien entre ESG et valeur des actifs est de plus en plus intégré, entraînant une demande d’analyse systématique de cette dimension par les investisseurs en amont d’un deal. L’impact des questions ESG sur la gestion des risques, sur l’efficacité opérationnelle et sur l’innovation et les opportunités est reconnu aujourd’hui et vécu de façon concrète et opérationnelle par les participations. Ces diligences sont d’ailleurs fréquemment intégrées dans le package due diligence aux côtés des autres (financières, sociales, fiscales, stratégiques…). Même lors de phases très compétitives, le sujet est de plus en plus abordé, quitte à réaliser des interventions limitées et ciblées en phase 1 et à élargir en phase 2. Des acteurs investissant plutôt en minoritaire sont aussi actifs sur ces questions, en s’impliquant auprès des principaux sponsors des opérations ou en initiant eux-mêmes leurs propres due diligences ESG.

Quelles évolutions lui prévoyez-vous ?

Au-delà de la systématisation de ces travaux dans les processus d’investissement, les due diligences ESG « spécifiques » sont clairement une évolution déjà entamée. Nous avons toujours été sur une logique de traiter en priorité les enjeux stratégiques ESG, mais dans certains cas, l’importance de quelques thématiques ESG va amener une concentration des travaux forte sur ces sujets. Par exemple, nous réalisons des due diligences ESG avec un prisme très fort sur la supply chain ou sur les enjeux d’éthique ou de corruption, selon les secteurs et le contexte économique des entreprises. Comme les autres due diligences, la due diligence ESG est et sera de plus en plus une affaire de spécialistes capables d’apporter de nombreuses expertises pointues dans l’ensemble des domaines de l’ESG, et capables d’accompagner les entreprises de façon opérationnelle sur ces questions.

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