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L'histoire

Redressé par Ciclad, Portafeu s’ouvre à Assa Abloy 08.03.12

Redressé par Ciclad, Portafeu s’ouvre à Assa Abloy
Acteur historique du marché de la sécurité incendie, Portafeu a su restaurer sa compétitivité sous l’impulsion de Ciclad, portée par des investissements industriels et un redéploiement de son activité. Son attractivité retrouvée, l’entreprise euroise a séduit le géant industriel du secteur.
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Redressé par Ciclad, Portafeu s’ouvre à Assa Abloy
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départs d’incendie, Portafeu en a vécu quelques-uns depuis sa création. L’entreprise rouennaise, spécialisée dans les fermetures coupe-feu, a vécu plusieurs changements d’actionnariat, et traversé des périodes agitées. L’activité voit le jour dans les années 1940, à l’initiative de Léon Gubri. D’abord positionnée sur la fabrication de réservoirs en aluminium, l’entreprise se focalise petit à petit sur la production de portes coupe-feu, et se développe sur un marché peu concurrentiel. Elle est reprise dans les années 1980 par la holding industrielle Dynaction, avant de reprendre son indépendance treize ans plus tard. L’expérience est de courte durée puis - que la PME intègre le giron de l’américain Tyco et prend le nom de Tyco FCF (Tyco fermetures coupe-feu) en 1998. Le nouvel actionnaire développe l’activité Pose, et met sur pied un service de maintenance afin d’assurer le suivi des installations. Ce conglomérat, présent dans de nombreux secteurs dont celui de la sécurité incendie, mène à l’époque une politique d’acquisitions plutôt agressive, et se retrouve au début des années 2000 à la tête de neuf sociétés françaises. Mais rapidement, la stratégie du groupe est remise en cause, provoquant une plongée de son cours de Bourse. Tyco décide alors de se recentrer et lance, fin 2003, un process de vente visant plusieurs filiales, dont celle des fermetures coupe-feu.  

Une entreprise sur le déclin

Plusieurs fonds s’intéressent à l’affaire, mais les discussions s’éternisent : « Tyco a stoppé les négociations un temps, dans l’espoir de réaliser une vente groupée des différentes filiales », explique Nicolas Rostand, associé chez Ciclad. Résultat, plusieurs candidats jettent l’éponge et Ciclad se retrouve seul en lice. Le fonds signe finalement la reprise de l’entreprise en mai 2005. Il s’associe, pour l’occasion, avec un ancien directeur général Europe des groupes de climatisation et filtration Lennox puis American Air Filter, Jean-Pierre Boutier, ainsi qu’avec le directeur financier de la PME. L’investisseur s’empare de 66% du capital tandis que les deux managers se partagent le solde. L’opération est financée sur fonds propres, mais un petit effet de levier existe par la présence d’une dette de l’ex-filiale vis-à-vis de Tyco. Un montage prudent, justifié par la fragilité de la cible lors de l’acquisition. Employant 274 salariés, la socié té affiche alors un chiffre d’affaires de 27 millions d’euros, mais n’est plus rentable. « Le site n’était pas très glamour, avec des bureaux installés dans des “algecos”, se souvient Jean-Pierre Boutier. L’entreprise souffrait d’un manque d’investissements industriels comme financiers, poursuit-il. Les produits sont vendus d’une part à une clientèle grands comptes, et d’autre part à des installateurs comme les métalliers et les serruriers. C’est un canal bien particulier qui n’était pas dans le coeur de métier de Tyco. »

Regagner la confiance des partenaires

L’entreprise possède toutefois quelques atouts : une place dominante sur son secteur, avec près de 45% de parts de marché et un savoir-faire reconnu grâce à des réalisations emblématiques telles que celles du musée du Louvre ou du Stade de France. Elle a su également se positionner sur des domaines très spécialisés, comme les portes de sécurité des centrales nucléaires ou les tunnels routiers. Le potentiel est donc là, encore faut-il l’exploiter. « Notre priorité a consisté à regagner la confiance du management, déclare Jean-Pierre Boutier. Nous avons passé du temps à présenter notre projet. » Première étape : un profond changement marketing avec l’adoption d’un nouveau nom, Portafeu, l’occasion de lancer une campagne de communication auprès des médias spécia - lisés et de la profession. Second chantier : la relance des investissements industriels. Le lendemain de son arrivée, le dirigeant signe ainsi l’achat de nouvelles machines de production. « Nous avons recommencé à gagner des affaires avec des grands comptes, comme celle du centre logistique Renault », raconte Jean-Pierre Boutier. De quoi donner de l’assurance aux équipes et redorer l’ima - ge de marque. En parallèle, des discussions avec les fournisseurs favorisent le rétablissement de bonnes conditions de paiement et l’optimisation de la gestion du BFR. Résultat : Portafeu sort de la zone rouge dès 2006, puis renoue avec les bénéfices. L’activité de maintenance, rentable et récurrente, est développée avec des effectifs triplés, et le chiffre d’affaires dans ce domaine passe de 1 million d’euros en 2004 à près de 4 mil - lions d’euros en 2011. Avec la remise aux normes de sécurité des centrales, le pôle Nucléaire permet également d’amortir la crise : « Ce secteur a l’avantage d’être con - tracyclique par rapport au BTP », souligne Nicolas Rostand. La recherche et développement est aussi reboostée : deux ingénieurs sont recrutés, et près de 1 million d’euros sont misés chaque année pour rénover l’offre. « Nous avons lancé de nombreux produits, indique Jean-Pierre Boutier. De plus, nous avons pris de l’avance sur la future réglementation européenne. Dès 2011, plus de la moitié de notre gamme était conforme aux futures normes, ce qui constitue un réel avantage pour accéder au marché européen. » Le chiffre d’affaires pro-gresse de 25,4 millions d’euros en 2005 à 36 millions d’euros en 2009, avec un repli à 31millions d’euros en 2010 pour un Ebitda de 2,1 millions d’euros.

Ces performances suscitent l’intérêt d’acquéreurs financiers comme industriels. « Les approches des industriels nous ont incités à lancer un mandat de vente, explique Nicolas Rostand. Ce sont eux qui valorisent le mieux le travail de redressement et de repositionnement stratégique mené par le management. » En mai 2010, le fonds et les managers cèdent l’entreprise au leader mondial des mécanismes d’ouverture de portes, Assa Abloy. Déjà présent sur le marché des systèmes de sécurité avec la marque Vachette (serrures, verrous) et sur celui de la porte blindée avec Fichet, le groupe – coté au Nasdaq OMX de Stock - holm – complète son offre et renforce encore davantage sa présence sur le marché. Avec plus de 37 000 salariés à travers le monde, Assa Abloy a réalisé 4,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2010. Ce géant du secteur offre à Ciclad une sortie pour le moins satisfaisante, puisque le capital investisseur réalise un « multiple à deux chiffres » sur cette cession. « La création de valeur sur ce deal a été générée par une politique d’investissements humain et industriel à long terme, souligne Nicolas Rostand. C’est ce qui explique le succès de l’opération », conclut-il. 

Coralie Bach

Visions Croisées

Nicolas Rostand, associé chez Ciclad, et Jean-Pierre Boutier, ancien directeur général de Portafeu

PRIVATE EQUITY MAGAZINE : Comment vous êtes-vous choisis ?

Nicolas Rostand : Nous nous sommes rapidement entendus avec Jean-Pierre Boutier, qui nous semblait être le manager adapté à la situation. Quant à l’entreprise, même si elle se trouvait en déclin, elle bénéficiait d’un fonds de commerce solide et d’un fort potentiel de développement. Les améliorations à porter en termes de gestion étaient manifestes ! Enfin, Tyco témoignait d’une réelle volonté de vendre, ce qui promettait des conditions financières plutôt intéressantes.

Jean-Pierre Boutier : J’ai contacté plusieurs fonds small cap, et le courant est bien passé avec Ciclad. L’équipe possède une longue expérience en tant qu’investisseur, et sait gérer des situations complexes. De plus, nous étions d’accord pour adopter un montage conservateur et réaliste, même si cette option était moins intéressante financièrement.

PE MAG : À quelles difficultés avez-vous été confrontés ?

N. R. : Les négociations, longues et complexes, ont été suivies d’une première année tumultueuse. Heureusement, la greffe a vite pris avec le management. Des améliorations sont apparues petit à petit, bien qu’elles ne se soient pas tout de suite traduites dans les résultats de l’entreprise.

J.-P. B. : Nous avons dû gérer de nombreuses difficultés la première année, tant sur le plan financier qu’au niveau industriel ou commercial. Mener tous les chantiers de front tout en gardant son calme n’est pas simple, surtout qu’il y a toujours un temps de décalage entre le travail entrepris et les résultats…*

PE MAG : Quel bilan tirez-vous de cette aventure ?

N. R. : Pour réussir un projet de reprise, les actionnaires et le management doivent partager les mêmes objectifs. En l’occurrence, notre business plan reposait sur la solidification des fondamentaux de l’entreprise, et non pas sur un retournement brutal. Ce deal prouve également qu’il ne faut pas être dogmatique dans ses choix d’investissement. Racheter une société apparemment sur le déclin, le pari était audacieux.

J.-P. B. : Je suis heureux d’avoir transformé l’entreprise en profondeur, et de lui avoir redonné un avenir. La marque s’est rapidement imposée sur le marché. Reprendre une PME industrielle connaissant des difficultés demande de l’opiniâtreté. Le dirigeant joue un peu le rôle d’un médecin généraliste. 

Repères

> 1940 : Naissance de l’entreprise sous le nom de Gubri
> années 1980-1993 : Reprise par la holding Dynaction
> 1998 : Gubri intègre le groupe américain Tyco et devient Tyco FCF
> 2005 : Ciclad organise le spin-off de l’activité, qui se rebaptise Portafeu
> 2011 : Le groupe coté suédois Assa Abloy reprend 100 % du capital de Portafeu
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