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L'histoire

Souriau : la prise idéale pour un fonds 27.01.12

Parti de la galaxie Framatome pour enchaîner deux LBO, Souriau choisit une sortie industrielle afin de garantir son expansion internationale. Ses produits de connectique à forte valeur ajoutée ont attisé les convoitises, et ont permis à Sagard de vivre un cas d’école de buyout.
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Quel est le lien entre un avion et ses ailes ? Entre un char et sa tourelle ? Des produits Souriau. Cette entreprise versaillaise fabrique des prises et branchements depuis 1917, et s’est depuis glissée dans la niche des connecteurs en milieux sévères. Sévères, dans le sens d’extrêmes. Par exemple, ses connecteurs relient les ailes de l’A380 à la cabine de pilotage de l’avion et résistent aux vibrations, aux changements de pression atmosphérique et de température. Ils se branchent entre le réacteur d’une centrale nucléaire et son système de refroidissement, avec des contraintes de sécurité maximales. La clientèle de l’entreprise se compose donc de grands comptes dans l’aéronautique, l’industrie et la défense, et leurs rela- Q tions s’inscrivent généralement sur le long terme. En effet, les produits sont développés spécifiquement pour les besoins du client, qui change rarement de fournisseur étant donné le temps de sélection et de mise au point des produits. Les connecteurs apportent donc une valeur ajoutée importante, ainsi qu’un flux de commandes sécurisées. En 1989, la société est entrée dans le groupe Framatome et constituait, avec les sociétés Jupiter et Burndy, la division connecteurs de l’ancêtre d’Areva. Souriau s’est hissé grâce à cela au premier rang européen, mais s’est retrouvé bridée dans ses ambitions de développement par sa position non stratégique dans la nébuleuse Areva. De quoi devenir une cible de choix pour les fonds de private equity. Axa Private Equity et le management reprennent alors Souriau en 2003 pour une valorisation aux alentours de 150 millions d’euros avec un montage comprenant 60% de dette senior. Trois ans après, la sortie d’Axa PE est organisée par Roth schild qui, à la demande du management, ne retient que des fonds. « Lorsque nous avons racheté l’entreprise, le management de Souriau nous a favorisé : il recherchait un profil de fonds industriel et français car il s’agissait de technologies sensibles », précise Frédéric Stolar, associé fondateur de Sagard, qui a rem porté les en - chères. En face de Sagard, de grands noms du LBO comme Barclays PE (Equistone Partners), LBO France ou Montagu PE, mais Sagard dispose d’un atout de taille : sa parentèle industrielle. 

Souriau résiste aux chocs

Sagard met en effet dans la balance le réseau des familles françaises et canadiennes qui abondent son fonds, les Desmarais, Peugeot ou Dassault… lui-même client de Souriau. Le deal se conclut pour une valorisation de 220 millions d’euros, soit environ 9 fois l’Ebitda de la cible. La dette d’acquisition se chiffre alors à 160 millions d’euros. Sagard devient actionnaire principal avec 60% des parts, CAPE est invité avec 15%, le mana - gement conserve le reste. Souriau réalise un chiffre d’affaires de 175 mil lions d’euros et sa marge d’Ebitda s’établit confortablement à 15% en moyenne. « Notre thèse d’investissement reposait sur trois points : un portefeuille clients magnifique et résilient, une très belle croissance des industries sousjacentes comme l’aéronautique ou la défense, et une technologie fantastique encore peu implantée aux États-Unis. Nous avons donc soutenu le management dans une stratégie d’expansion à l’international », résume Frédéric Stolar. Pour la conquête de l’Amérique du Nord, la famille Desmarais apporte en dot ses relations avec le canadien Bombardier. Afin d’accélérer son implantation sur la zone, Souriau réalise en 2007 l’acquisition de Pacific Aerospace & Electronics (PAE), un concurrent américain qui réalise environ 20 millions de dollars annuels de revenus mais qui, surtout, ouvre une porte sur le plus grand marché mondial des connecteurs. « La cible avait déjà été identifiée par le management lors d’un processus de mise en vente. Elle n’avait pas été cédée à l’époque car le prix demandé était trop élevé, mais Souriau avait pu nouer avec le management de PAE des relations privilégiées qui lui ont permis de l’acquérir plus tard pour 5 fois son Ebitda », indique le partner. Si le début du LBO se déroule idéalement, la crise vient gripper la dyna mique en 2009-2010. « Le chiffre d’affaires a baissé pendant deux ans,jusqu’à - 7% et l’Ebitda jusqu’à - 5%, ce qui nous a valu un léger bris de covenant sur le ratio de levier. Nous l’avons donc réaménagé avec le tour de table bancaire qui, quoi - que gourmand en marge, s’est très bien comporté », illustre Frédéric Stolar. Souriau rétablit vite le cap et anticipe un chiffre d’affaires de 238millions d’euros pour 2011 et 43 millions d’Ebitda. Avec plus d’une dizaine de sites de production, dont certains low cost, elle emploie 2300 personnes.

L’indépendance, c’est l’Amérique

Le lien entre Sagard et Souriau se dénoue en 2011. «Nous avons décidé ensemble que la sortie se ferait auprès d’un acteur industriel américain capable d’offrir à Souriau un accès privilégié à une nouvelle clientèle sur le plus grand marché connectique du monde. Mais l’équipe de management a tenu à avoir la main sur le choix du repreneur, ce que nous avons accepté. Ils ont souhaité un groupe qui partage leurs valeurs et leur approche du métier », selon Frédéric Stolar. Souriau est en position de poser ses conditions aux candidats à la reprise : un industriel américain permettant à Souriau de rester une société française dirigée par des Français et développant une technologie fran çaise. Le manarepères gement souhaitait aussi un acquéreur de taille moyenne pour représenter une partie significative du business et être coeur de métier, car il ne veut pas revivre l’expérience d’être noyé dans la complexité d’un mastodonte comme Areva. Morgan Stanley est alors mandaté pour la vente et, au dernier tour, il reste trois repreneurs dans un mouchoir. « Ces industriels acquéreurs devaient absolument être acceptables par les partenaires stratégiques de Souriau, tel le ministère de la Défense », souligne-t-on chez Sagard, et il fallait une connivence cultu relle. Ce sera donc Esterline Technologies Corporation, société cotée sur le NYSE, qui remplit tous les critères et possède déjà deux filiales et trois usines en France. La holding, qui détient des participations dans l’aéronautique et la défense (CA 2011 : 1,7 mil - liard de dollars), valorise Souriau 491 mil - lions d’euros, soit plus de 11 fois son Ebitda 2011. Sagard réussit une jolie sortie, avec un deal closé mi-2011 qui lui apporte un multiple de 4,2 et un TRI de 29 %. Pour Souriau, c’est le tremplin nécessaire afin de devenir une plate-forme internationale de consolidation dans la connectique. Et rester branché, même sous pression. 

Laurence Pochard

Repères

> 1917 : Création

> 1989 : Souriau est racheté par Framatome (Areva)

> 2003 : Axa PE et le management rachètent la division connectique de Framatome (valori - sation 150 M¤)

> Ouvertures des unités en Inde et au Maroc

> 2006 : Sagard devient actionnaire majoritaire de Souriau (valorisation 220 M¤), accompagné au capital par le management et Crédit Agricole PE

> 2007 : Build-up sur la société américaine Pacific Aerospace & Electronics

> 2009 : Ouverture d’une deuxième usine en Inde

> 2011 : Rachat de 100% de Souriau par Esterline Technologies Corporation pour 491 M¤ soit 12 fois l’Ebitda. 

Visions Croisées

Trois questions à Frédéric Stolar, associé fondateur de Sagard.

PRIVATE EQUITY MAGAZINE : Quel a été votre style d’actionnariat ?

Nous avions la conviction que Souriau était une vraie pépite, et qu’il fallait seulement accompagner les décisions du management. Ce dernier a fait ce qu’il avait promis durant ces cinq ans, comme développer une unité à bas coût en Inde. Un vrai cas d’école ! Nous avons été très sollicités pour vendre pendant toute la période d’investissement, surtout par des industriels étrangers. Nous étions donc convaincus qu’un jour nous valoriserions très bien notre investissement. Pour la sortie, nous avons accepté que les managers choisissent leur futur partenaire, car eux seuls sauraient détecter le meilleu repreneur pour Souriau. Et cette décision de leur laisser la main sur l’acquéreur était d’autant plus facile que, quel que soit le partenaire choisi, nous réaliserions une belle opération.

PE MAG : Quel a été le meilleur moment de votre accompagnement de Souriau ? La première année de LBO a été formidable, nous avons été portés par un superbe marché de l’aéronautique. De plus, nous avons vécu une relation transparente et très amicale avec le management durant toute la vie du deal, y compris lors de la sortie. En effet, le timing (ndlr : fin juillet 2011) du closing s’est révélé parfait a posteriori, avant le ralentissement du second semestre 2011. Nous avons eu un peu de chance. Si nous étions sortis quelques mois plus tard, nous n’aurions pas obtenu le même prix.

PE MAG : Et le pire moment ? La crise post-Lehman a révélé des zones de fragilité du marché aéronautique. Mais l’équipe Souriau a su ajuster ses coûts, lancer des initiatives commerciales innovantes dans une période très difficile. Deux ans après, la société renouait avec ses plus hauts historiques. Une des forces de l’entreprise ? Son portefeuille de technologies et ses talents humains, qui s’appuient sur l’innovation pour créer de nouveaux marchés. 

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