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L'histoire

Butler a remis France Champignonsur pied 08.10.11

France Champignon, fleuron français de la culture du champignon de Paris et de son conditionnement, périclitait. L’avenir de toute une filière était en jeu. Après des années à attendre un repreneur, le fonds de retournement Butler a relevé le défi de la modernisation de ce métier traditionnel.
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ans une cave, à Saumur, des cueilleuses récoltent à la main des champignons de Paris. Voici le tableau découvert par les investisseurs du fonds de retournement Butler Capital Partners quand ils se penchent sur France Champignon. Depuis sa création en 1868, l’entreprise est restée assez traditionnelle. Certes, il y a des usines de conditionnement pour mettre en boîte (65% du chiffre d’affaires), surgeler ou sécher les récoltes, mais l’activité de production n’avait pas pu se mettre aux standards de la profession. En 1997, Royal Champignon, filiale du sucrier Saint Louis, fusionne avec le groupe coo - pératif Champi-Jandou pour créer France Champignon. C’est le groupe indépendant qui rachète la filiale, situation qui n’est pas pour rassurer les banquiers du groupe, lesquels tablaient sur l’opération inverse. Résultat : aucun investissement n’est accordé entre 1997 et 2004 et la situation paraît bloquée. Le comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) se charge du dossier pour sélectionner un repreneur, et France Champignon deviendra son plus long mandat : sept ans et trois procédures judiciaires. L’enjeu est de taille : il s’agit de sauver une filière de 3000 personnes, dont 2000 dans le groupe, le plus gros employeur de la région de Saumur. Et pendant ce temps, la concurrence s’est équipée en maisons de culture, plus rentables que les caves. L’investisseur de la dernière chance En 2004, le résultat net est de 15 millions d’euros, et le groupe est assez peu endetté, car il n’a pas investi. Or, les marchés vont se tendre, et la compétitivité de l’entreprise est menacée : « Le prix de revient d’une production traditionnelle en cave est supérieur de 20% à celui des maisons de culture », se souvient Alain Chamla, qui a dirigé le groupe entre 2006 et 2010. Ces paramètres ont éveillé l’intérêt de Butler : « Nous recherchons les belles sociétés qui rencontrent des difficultés, leader ou coleader en Europe, sur un bon marché », précise Laurent Parquet, partner chez Butler Capital Partners. « L’entre prise avait des problèmes de gouvernance, ainsi que des rapports au point mort avec ses banquiers et des dysfonctionnements de management. Plusieurs équipes se sont succédé sans avoir les moyens de mettre quoi que ce soit en place », ajoute-t-il. En face du fonds, un candidat à la reprise regarde le dossier : Bonduelle. Mais le spécialiste de l’agroali - mentaire rechigne alors à investir dans la production, en amont de ses mé tiers. En effet, France Cham pignon produit à 40% en interne et achète le reste. Butler réussit donc à finaliser la reprise avec le soutien du CIRI et du ministre de l’Agriculture. Le fonds prévoit un plan d’investissement de 60 millions d’euros sur trois ou quatre ans (dont 10millions d’equity d’emblée), ce qui déclenche en cascade des financements publics de la communauté européenne, des régions et des banques. « Nous avons joué le rôle de catalyseur de l’ensemble des parties prenantes », se félicite Laurent Parquet. Les lignes bancaires ont été réajustées, et garanties par les Régions. L’entrée au capital de Butler permet également de diluer les coopérateurs. Un nouvel homme fort Deux ans après la reprise, les performances déçoivent. Butler réinvestit alors 10mil lions d’euros en 2006, et nomme Alain Chamla à la direction de France Cham pignon. Ce dernier apporte une connaissance de l’agroalimentaire acquise chez Pernod Ricard, ainsi qu’une maîtrise du marketing qui faisait jusqu’à présent défaut dans l’entreprise. La mutation de l’outil de production aboutit enfin : « Nous avons développé notre propre technologie de maisons de culture. Nous utilisons des conteneurs mobiles ensemencés, qui passent par des salles de culture à température, CO2 et hygrométrie contrôlées. Une fois les champignons à maturité, les conteneurs passent à la coupe, que nous avons automatisée », explique Alain Chamla. Mais cette modernisation a des conséquences sur l’emploi, l’un des sites ferme et les reclassements sont presque impossibles. « Nous rencontrons fréquemment ce sujet social, mais comme nous portons un projet de développement pour amener l’entreprise à retrouver la croissance, il n’y a pas eu de conflit », selon Laurent Parquet. « C’était une question de survie de la société, pour résister à la concurrence étrangère. Les salariés, que nous avons prévenus le plus tôt possible, ont compris les enjeux », appuie l’ancien dirigeant. Il a en outre apporté des méthodes qui détonnent dans l’entreprise, en organisant par exemple un congrès des ventes pour créer un esprit d’équipe et motiver ses troupes. Du jamais vu dans la société plus que centenaire. Le rapport avec les fournisseurs est lui aussi repensé : « Nous sommes passés du flux poussé des récoltes déposées chaque jour à l’usine à un flux tiré. Nous avons demandé aux producteurs de nous fournir certains calibres avec un cadencement précis. Un grand changement d’état d’esprit ! », illustre Alain Chamla. De plus, France Champignon a réalisé un petit build-up en 2009 en rachetant le normand Ganot, fournisseur BtoB de champignons. Un stratégique pour la sortie Après sa rénovation, le groupe est mûr pour un nouvel actionnaire. Hors impact de la loi LME (et son interdiction des marges arrières avec la grande distribution), le chiffre d’affaires est passé de 190 à 200 mil lions d’euros durant l’actionnariat de Butler. « En plus de notre domination du marché national, nous avons développé les marchés allemand, espagnol, portugais, tchèque et roumain », souligne Alain Chamla. « Ce qui a été rendu possible par le retour à la compétitivité depuis 2007 avec 3,5% de marge d’Ebit. La production globale a baissé, mais la marge a grimpé, surtout sur le Frais », ajoute l’ancien patron. France Champi gnon exploite à présent le plus grand site de production au monde, à Longué-Jumelles dans le Maine-et-Loire, et produit chaque année 130000 tonnes de champignons. Après un processus intermédié, Butler a reçu des marques d’intérêt d’industriels, dont Bonduelle, pour qui l’acquisition apparaît stratégique, offrant un réseau commercial étendu à l’international. Bonduelle (chiffre d’affaires 2009-2010 : 1,7 milliard d’euros), repreneur favori du management, rachète donc 100 % de France Champignon, ses 1300 salariés et ses 60 millions d’euros de dette pour un coût d’a cquisition d e 37,9 millions d’euros d’après son rapport annuel. « Nous avons laissé le groupe à Bonduelle avec de nombreux projets de développement dans les cartons », souligne Laurent Parquet, évoquant des nouveautés comme les champignons cuits à la vapeur. Butler ne révèle pas de performance, mais assure en revanche avoir réalisé une bonne opération.

Laurence Pochard

Visions Croisées

Laurent Parquet, partner chez Butler Capital Partners, et Alain Chamla, président de France Champignon.

PRIVATE EQUITY MAGAZINE : Quelle image aviez-vous de l’entreprise au moment de l’investissement ?
L. P. : Une belle endormie avec un sommeil de plomb ! Les bons côtés : France Champignon détient une part de marché largement majoritaire, et un sousjacent de marché stable. C’est un pan du marché agroalimentaire intéressant, notamment en MDD. La culture ne dépend pas des saisons, et le produit final dispose de qualités intéressantes : il est hypocalorique, et la conserve reste un moyen bon marché de consommer des légumes. Mais l’entreprise souffrait d’une défaillance au niveau de sa gouvernance, ce qui était un levier créateur de valeur important.
A. C. : Je suis entré deux ans après Butler Capital dans une société avec un vrai projet industriel mais qui avait sous-estimé l’innovation marketing et manquait de dynamisme commercial. Il fallait faire basculer un esprit industrieux vers une culture de la valeur ajoutée, en sus du contrôle des coûts. Pour insuffler un dynamisme social, j’ai choisi de travailler sur l’innovation produit, où il y a toujours quelque chose à faire.
PE MAG : Quels ont été les moments les plus compliqués ?
L. P. : Nous avons mené une transformation très forte de cette filière. Cela passait par un changement de la relation avec les coopérateurs en plus d’une modernisation de l’outil de production. La phase avant l’arrivée d’Alain Chamla a été la plus difficile, la société continuait à faire des pertes, tout en gardant de bons fondamentaux. Nous ne voyions pas encore les résultats de l’investissement financier tout en étant sûrs d’aller dans la bonne direction.
A. C. : Je suis arrivé dans une période critique. Un changement de management est toujours traumatisant pour une entreprise, mais nous avons su redonner confiance aux employés malgré les fermetures de caves. Le management et le CE ont cru au projet et l’ont soutenu.
PE MAG : La cession à Bonduelle était-elle la seule option ?
L. P. : Nous vendons très peu à d’autres fonds, et ici, nous avions reçu des marques d’intérêt de plusieurs grands industriels agroalimen taires. L’enjeu était fort pour Bonduelle, qui ne produisait pas de champignons, et avait surmonté ses réticences vis-à-vis des acquisitions dans l’amont agricole.
A. C. : J’avais déjà rencontré Christophe Bonduelle pour lui proposer de distribuer nos produits à l’étranger. Son groupe a été plébiscité par le management et bénéficiait d’un bon accueil de la part des acteurs locaux. Ce rachat offre un réseau commercial international à France Champignon, et assure l’avenir de l’entreprise. 

Repères

> 1868 : Création

> 1997 : Fusion de Royal Champignon (ex-Saint Louis) et de Champi-Jandou, détenu par des coopératives

> 1997 : Début du mandat du CIRI > 2004 : Rachat par Butler Capital Partners

> 2006 : Arrivée d’Alain Chamla à la tête de l’entreprise. Il dispose d’une forte expérience agroali - mentaire acquise chez Pernod Ricard

> 2007 : Retour à l’équilibre

> 2009 : Build-up sur la société normande Ganot, fournisseur BtoB de champignons pour la restauration

> 2010 : Cession de 100% de France Champignon au groupe coté Bonduelle

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