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L'histoire

Yoplait, la voie lactée 20.06.11

Nouvelle direction, modernisation de la production, redéfinition de la stratégie marketing, la coopérative laitière s’est entièrement transformée durant l’actionnariat de PAI Partners. Si la métamorphose a parfois été douloureuse, elle a renforcé l’attractivité du groupe, qui s’apprête aujourd’hui à poursuivre son expansion sous l’égide de l’américain General Mills.
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Un LBO dans une coopérative, l’opération n’est pas banale. Lorsque PAI Partners entre au capital de Yoplait en 2002, l’actionnaire fait immersion dans une culture d’entreprise particulière qui est bien loin des ratios financiers. Fondée en 1964, la marque de yaourt est née du regroupement de six coopératives laitières. Plus de 100000 agriculteurs se rassemblent, d’abord sous le nom de Sodima, puis de Sodiaal, et décident d’assurer eux-mêmes la commercialisation de leurs produits. Yaourts aux fruits, petits suisses, le groupe développe sa gamme sur le marché français. Très vite, il s’étend à l’international via un système de franchises. Il signe ainsi, en 1977, un accord avec un groupe américain, un certain General Mills… Mais le rythme ralentit au début des années 1990. L’entreprise végète, délaissant les dépenses publicitaires et la recherche de nouveaux produits, tandis que son concurrent Danone, leader du secteur, renforce sa position. Elle perd lentement des parts de marché, et passe de 20 % en 1984 à 12 % en 2002. « Yoplait connaissait une vraie crise de confiance de la part de ses partenaires, relate Lucien Fa, président du groupe. Les fournisseurs avaient réduit les délais de paiement, les franchisés ne croyaient plus en la marque et certains envisageaient de ne pas renouveler leur contrat. » C’est dans ce contexte que Sodiaal initie un processus de vente. Diverses options se présentent : le démantèlement du groupe et la vente des franchises à différents acquéreurs, une reprise industrielle, ou le montage d’une joint-venture leveragée avec PAI Partners. Le fonds remporte le deal. Il reprend 50% du capital, tout en négociant le pouvoir de décision, avec une opération qui valorise la société 400 millions d’euros : « Cette solution présentait plusieurs atouts pour Sodiaal, précise Frédéric Stévenin, associé chez PAI Partners. La coopérative recevait plus de 80% de la valeur de l’entreprise en ne vendant que la moitié des parts. De plus, elle conservait un rôle d’actionnaire et donc un pouvoir de décision à moyen terme sur l’avenir de l’entreprise. »

Rattraper la concurrence

L’entrée de l’investisseur marque le début d’un grand chantier de transformation et de modernisation de la société. « Il fallait passer d’un métier de commodité agricole à la conception d’un produit marketé, indique Frédéric Stévenin, et surtout faire de Yoplait un concurrent efficient de Danone. » L’équipe de direction est entièrement renouvelée. Quoi de mieux qu’un homme clé du leader du marché pour redresser l’entreprise ? Lucien Fa, qui affiche plus de vingt ans d’expérience chez Danone, prend la tête du groupe. Spécialiste du marketing, il se définit lui-même comme un « chef de produit », et veut reconstruire l’image de « la marque à la fleur ». Les dépenses publicitaires sont triplées jusqu’à atteindre près de 12% du chiffre d’affaires. De nouvelles recettes sont créées et les produits existants améliorés. L’accent est mis sur la qualité. Marketing, structure commerciale, logistique, tous les aspects de l’entreprise sont revus. Pendant plus de cinq ans, les actions s’enchaînent. La modernisation est toutefois douloureuse. Deux usines sont fermées, l’une dans l’Oise, l’autre en Angleterre. Cinq plans sociaux se succèdent, et les effectifs sont réduits de manière drastique. En France, l’entreprise passe de 2 400 équivalents temps plein, en 2002, à 1225. Autant dire que le climat social est plutôt tendu : « Certaines décisions ont été dures sur le plan humain, mais elles s’avéraient indispensables pour l’avenir de l’entreprise », confie Lucien Fa. En passant d’un modèle coopératif à un modèle devant générer du profit, le spécialiste des produits laitiers vit un vrai choc des cultures. La réduction des coûts permet néanmoins de dégager des ressources et d’investir plus de 200 millions d’euros dans les outils de production : « Nous avons augmenté les volumes tout en les concentrant sur moins de sites, pour avoir des usines plus spécialisées et efficientes », explique Lucien Fa. Des efforts payants. L’Ebitda progresse de 50 millions d’euros en 2002 à 80 millions d’euros en 2008.

Déployer le concept à l’international

Le fonds aurait pu s’arrêter là et vendre, mais l’arrivée de la crise l’incite à prolonger son partenariat. La stratégie est cette fois axée vers le développement international. « Jusque-là, Yoplait fonctionnait en tant qu’opérateur en France et sous forme de franchises dans les autres pays. Il fallait prouver que le groupe était capable de générer de la valeur à l’étranger », indique Frédéric Stévenin. La société entame une politique de croissance externe. Elle intègre ainsi les franchises du Royaume-Uni et du Portugal. Début 2011, elle rachète le canadien Liberté. Avec 131 millions d’euros de chiffre d’affaires réalisé en 2009, la marque est positionnée sur les yaourts biologiques et naturels : « La gamme produits est complémentaire à celle de Yoplait », souligne l’associé de PAI. Ces acquisitions permettent au groupe d’améliorer encore sa rentabilité, qui s’établit au dernier exercice à 127 mil lions d’euros d’Ebitda. En parallèle, l’entreprise parvient à maintenir sa part de marché en France (11,6 %) tandis que Danone recule de 38 % en 2003 à 32 % aujourd’hui, à cause notamment de la concurrence des marques de distributeurs. Ces bons résultats séduisent les industriels, nombreux à concourir pour le rachat des actions de PAI Partners. Lactalis, Nes - tlé, le chinois Brightfood, ou encore le mexicain Lala sont sur les rangs. Un temps envisagée, l’option de l’introduction en bourse est abandonnée : « Elle était moins intéressante financièrement, et le modèle de Yoplait, mi-opérateur direct mi-franchiseur, est peu lisible pour le marché boursier », remarque Frédéric Stévenin. C’est finalement General Mills, géant de l’agro - alimentaire et partenaire historique de la société, qui remporte le deal. L’offre concilie les exigences de prix du vendeur et les conditions de Sodiaal, qui reste coactionnaire, à savoir préserver l’unité de Yoplait et poursuivre le développement international. Le 18 mai 2011, l’américain reprend 51% des parts pour une valorisation d’entreprise de 1,6 milliard d’euros. Cette opération permet à PAI Partners de multiplier par 10 sa mise de départ. General Mills, qui a fait ses preuves en matière de déploiement international avec les glaces Häagen- Dazs, devrait conduire le développement dans les pays émergents, en prenant pour premières cibles la Chine, l’Indonésie et l’Inde.     

 

Coralie Bach

Visions Croisées

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    Frédéric Stévenin, Pai Partners
    Frédéric Stévenin, Pai Partners
    © D.R.

Frédéric Stévenin, associé PAI Partners, et Lucien Fa, président de Yoplait.

 

PE MAG : Quel bilan tirez-vous de votre partenariat ?

 

F. S. : Le management a fait un travail exceptionnel. Il a réussi à gérer des situations complexes, à éteindre les incendies. Ensemble, nous avons redynamisé une belle endormie. La marque est devenue plus attractive et a prouvé ses capacités d’expansion via l’acquisition et l’intégration de franchises à l’étranger.

L. F. : C’est ma seule expérience de LBO. Si je compare avec le fonctionnement d’une grande entreprise, le système de gouvernance est formidable. J’ai gardé une grande liberté d’action. Nous avons travaillé dans un lien de confiance, avec peu de formalisme, ce qui a permis une rapidité des prises de décisions. PAI Partners nous a soutenu et nous a donné des conseils constructifs.

 

PE MAG : Quel a été votre plus grand défi ?

 

F. S. : Définir les conditions de sortie permettant d’aligner les intérêts des deux actionnaires. Nous vendions toutes nos parts, contrairement à Sodiaal, qui restait au capital. Nous devions donc trouver un accord alors que nos objectifs étaient différents. Il a fallu du temps et des efforts de part et d’autre.

L. F. : À mon arrivée, l’entreprise était dans une situation critique. Le premier défi a donc été de regagner la confiance des parties prenantes, salariés, fournisseurs, franchisés… Puis il a fallu redresser la barre et appliquer des mesures parfois difficiles, comme les plans sociaux.  

 

PE MAG : Comment avez-vous préparé la sortie ?

 

F. S. : La société présentée à la vente ne ressemblait en rien à celle que nous avions achetée en 2002 : l’outil industriel a été rénové, les résultats ont triplé et la performance des franchisés a été améliorée, ce qui a permis d’augmenter le taux de redevance.

L. F. : La préparation de la sortie de PAI n’a rien changé au fonctionnement de l’entreprise. Nous avons toujours pris des décisions afin d’augmenter la valeur de la marque sur le long terme. Nous n’avons pas cherché à gonfler artificiellement les résultats, pour être au point le plus haut d’ici quatre ou cinq ans.         

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