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L'histoire

L’indestructible Well 21.04.11

Well habille les jambes des femmes depuis des décennies. L’entreprise a vu défiler plusieurs actionnaires à son capital. Reprise par Nixen en 2001, elle a connu des moments difficiles, socialement et économiquement, puis s’est restructurée avant d’intégrer le groupe italien CSP.
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Un paysage des Cévennes planté de mûriers abritant des vers à soie… Tel est, en 1927, le décor bucolique du lancement de « Bas de France ». Ce n’est que dans les années 1970 que le groupe lyonnais Bugnon reprend l’entreprise pour lancer la marque Well, et fait passer le fabriquant à l’ère industrielle jusqu’à atteindre une production de 120mil lions de paires de collants et de mi-bas en 1990. Puis, en 1992, l’entreprise, qui s’appelle désormais Cogetex, passe sous pavillon anglais lors de son racha par Hart stone (maroquinerie et collants). Durant cette période, l’outil de production du Vigan (Gard) est modernisé, et peu après, en 1994, Cogetex intègre le groupe Courtaulds, numéro un des dessous au Royaume-Uni. Au début des années 2000, Courtaulds fait l’objet d’une OPA du géant américain Sara Lee, et se pose alors un problème de position dominante sur le marché de la bonneterie en France : Sara Lee possède également Dim, Playtex, Wonderbra ou Chantal Thomass… Bruxelles autorise donc Sara Lee à racheter Courtaulds, sous réserve d’une séparation de Well. Éric Pinot, à l’époque dirigeant chez Sara Lee Europe, souligne « l’intelligence de Natexis Industrie [devenu NiXEN en 2010, ndlr], qui a procédé au spin-off après que Sara Lee a recapitalisé Well à hauteur de 27 millions d’euros ». Le MBO permet au fonds de détenir 90 % du capital de Well pour une dizaine de millions d’euros, les 10% restants revenant au management. En plus de la probable bonne affaire réalisée lors de l’achat à un vendeur pressé par une contrainte réglementaire, Jean-Paul Bernardini, président de NiXEN, détaille les raisons d’investir dans l’entreprise, qui réalise 80millions d’euros de chiffre d’affaires en 2001 : « Nous rentrons en position maîtrisée de challenger sur un business qui repose sur la présence en grande distribution, dans un marché perçu comme stable. » Pourtant, le marché du collant s’effiloche à partir du milieu des années 1990, boudé des femmes qui lui préfèrent le pantalon : « Les ventes de collants en France baissent de 5 à 8 % par an, dans un marché dominé par Dim avec 40% de parts de marché, suivi de Well avec environ 20 %, puis des marques Le Bourget et Golden Lady », analyse Éric Pinot en spécialiste du segment.  

De bas en haut  

Well, en dépit de son nom, ne va donc pas si bien. La décision stratégique de consacrer une grande partie de la production à des marques de distributeur ne fonctionne pas, l’entreprise perd de l’argent : en 2004, elle ne réalise que 71millions d’euros de chiffre d’affaires, et affiche un résultat net négatif de 3,4 millions d’euros. « Nous avons alors décidé d’un changement de  management afin de nous adapter à une gestion de crise », indique Jean-Paul Bernardini. Un recrutement est donc lancé au moment où Sara Lee cède ses activités européennes d’habillement à Sun Capital Partners. Un de ses dirigeants, Éric Pinot, semble être l’homme providentiel. Il a été CEO de Playtex (lingerie) et vice-président en charge du développement stratégique des marques d’habillement de Sara Lee en Europe, dont fait partie Dim. Il rejoint Well en 2006 : « Je suis arrivé dans une entreprise en grande difficulté, en perte, avec un sureffectif, et dont les parts de marché s’érodaient. » Le nouveau dirigeant lance alors une stratégie en deux volets, l’un concernant le plan social, et l’autre une relance des ventes. Il faut préciser que l’usine, avec ses 200 machines qui tournent en 3x8, se trouve dans un petit bassin d’emploi, et que c’est déjà le troisième plan social en dix ans. « Ce n’est pas notre philosophie d’investisseur de renoncer face à ces difficultés, mais il a néanmoins fallu se résoudre à un plan social, nous avons été convaincus par les perspectives présentées par le nouveau management », évoque le président de NiXEN. Well passe donc de 550 à 280 personnes entre 2006 et 2010. Éric Pinot décide également de renouveler l’équipe de direction en favorisant la promotion interne, ce qui a pour effet de motiver et de fédérer les équipes. Il s’attaque en parallèle aux ventes, en prenant le contre-pied de la stratégie tournée vers les MDD (40 % du volume) : « Grâce à de nombreux lancements d’innovations produit à valeur ajoutée, nous avons gagné 15 points de marge sur le collant, et regagné du volume et des parts de marché. Nous avons alors atteint sur cette activité un niveau de 10% du résultat opérationnel, contre une perte de 5-6% à mon arrivée. » Il s’agit d’un plan à marche forcée, avec une pression colossale, notamment sur la R&D et le marketing, qui permet de sortir des produits sur le coeur de métier, techniques, comme le collant galbant, ou le mibas qui ne cisaille pas le mollet. Avec le retour en vogue de la jupe en 2007, Well repart du bon pied.

 

Tisser de nouveaux liens

 

Restructuré, à nouveau profitable, le fabricant de collants redevient « sexy » pour des investisseurs en 2010. Well réalise environ 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, bénéficie d’un outil de travail compétitif mais vend peu à l’international. En outre, son activité lingerie, qui pèse peu dans le chiffre d’affaires, n’est pas encore redressée. «Nous avons alors pris des contacts auprès d’industriels, de façon assez informelle, indique Jean-Paul Bernardini, afin de déterminer la meilleure option de sortie. » Finalement, le choix se réduit à un adossement à un industriel de la lingerie qui souhaite se diversifier, ou à un rachat par un concurrent fabricant de collants. Les gros concurrents en Europe sont italiens, Golden Lady et CSP, alors que Dim, pour des raisons de monopole, n’est pas envisagé. « Golden Lady était intéressé mais voulait fermer l’usine, ce qui était totalement inacceptable », relate Éric Pinot. CSP, groupe familial italien coté à Milan, regarde le dossier mais hésite, car son achat de la marque Le Bourget en 1999 a mis plus de cinq ans à être digéré. Au final, il présente un projet de reprise qui est retenu, car la consolidation des parts de marché de Well et Le Bourget en France pèse favorablement dans les négociations avec la grande distribution, et permet à chaque acteur de s’ouvrir un nouveau marché. De plus, l’usine du Vigan apporte une précieuse capacité de production à CSP et, enfin, l’italien s’engage à garder le personnel. « Pour nous, cela faisait sens de trouver une solution avec un avenir à moyen terme pour l’entreprise », souligne le président de NiXEN, qui réalise avec cette sortie au bout de neuf ans un multiple de 2,8 sur la base d’une valorisation à 16 millions d’euros (hors trésorerie excédentaire), soit un TRI inférieur à 15%. « Au-delà de la satisfaction intellectuelle d’avoir redressé l’entreprise, il y a la satisfaction humaine d’avoir sauvé des emplois et d’avoir vendu à une société qui devient, avec CSP, numéro 2 européen », conclut Éric Pinot, qui passe le témoin à l’occasion de cette cession. Well done.   

Visions Croisées

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    Jean-Paul Bernardini, président de NiXEN
    Jean-Paul Bernardini, président de NiXEN
    © D.R.

PRIVATE EQUITY MAGAZINE : Que retenez-vous de ces neuf années de partenariat ?

J.-P. B. : C’est une expérience de retournement non programmée, mais cela fait partie du métier de passer par quelques phases difficiles. Avec vingt ans d’expérience dans le private equity, nous avons le recul nécessaire pour prendre le temps de la réflexion avec l’équipe. Et nous avons connu plusieurs crises qui ont affecté nos investissements, comme en 1992, 1998 et 2008. Certaines équipes auraient pu être désemparées mais, avec nos savoirfaire, nous avons pu anticiper. Dans ces moments particuliers, nous avons l’habitude de nous concentrer sur les dépenses, la trésorerie, et de partager les enjeux et la mise en oeuvre du plan de redressement avec le management.

E. P. : J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec NixEN, car ce sont des actionnaires qui m’ont soutenu. Le fonds porte de fortes valeurs humaines et sociales. Je connais peu de fonds, mais je pense qu’ici – ce n’est pas partout le cas – l’actionnaire m’a laissé mener ce que je pensais être le meilleur projet. Quand vous êtes aux côtés d’un partenaire financier comme NiXEN, les objectifs sont alignés sur le développement de l’entreprise. J’apprécie cette caractéristique du système, loin de l’idée reçue des fonds qui n’ont qu’une vision financière.   

 

PE MAG : Comment avez-vous négocié la sortie ?

J.-P. B. : Après une discussion multilatérale, nous avons privilégié une offre qui valorisait le travail accompli au cours des dernières années pour restaurer la compétitivité de l’entreprise et renforcer ses positions commerciales.

E. P. : Nous avions surperformé le business plan, et nous avons cédé une société assainie. Il était important d’avoir l’aval du personnel, à qui nous avons demandé de bien accueillir le nouvel actionnaire, car nous savions que ses valeurs correspondaient à Well. Une entreprise familiale cotée, c’était le scénario idéal. 

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