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L'histoire

Criteo : la start-up française qui veut conquérir l’Amérique 23.08.10

Criteo : la start-up française qui veut conquérir l’Amérique
Après quelques années de tâtonnements pour trouver le bon business model, Criteo décolle vers le marché américain. Avec, à son bord, ses VCs historiques qui l’ont soutenu pendant les moments de doute et qui s’en félicitent aujourd’hui.
© D.R.
Criteo : la start-up française qui veut conquérir l’Amérique
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Les performances passées ne garantissent pas les performances futures, selon la formule consacrée, mais tout de même ! Les VCs sont connus pour préférer les serial entrepreneurs aux néophytes de la start-up. En l’espèce, Jean-Baptiste Rudelle, auteur d’un premier succès avec la création en 1999 de K-Mobile Kiwee (qui a lancé les téléchargements de sonnerie de téléphone portable en France) revendu en 2004 à American Greetings, avait tout pour être courtisé par les capitalrisqueurs. Surtout que, après le marché juteux mais limité du mobile, Jean-Baptiste Rudelle s’est choisi pour terrain de jeu la vaste toile pour y lancer un nouveau concept plutôt prometteur : un moteur de recommandations personnalisées pour aiguiller l’internaute dans l’offre pléthorique du Web sur le modèle du « si vous aimez ça, vous aimerez sûrement cela ».
Fin 2005, le fondateur de Kiwee s’allie avec deux anciens de Microsoft, Frank Le Ouay et Romain Niccoli, et lance le projet baptisé Criteo. Il n’a plus qu’à lever le premier tour de table. Ce sera chose faite début 2006 auprès d’Elaia Partners qui mise 1,2 million d’euros et d’AGF Private Equity (aujourd’hui IDinvest) qui apporte 1,8 million d’euros. Accompagné dans sa première aventure par 3i, I-Source, Ventech et Iris Capital, Jean-Baptiste Rudelle aura donc préféré de nouveaux compagnons de route. Pourquoi cette infidélité ? « J’ai été assez déçu par deux de mes quatre premiers VCs qui connaissaient un important turnover : j’ai ainsi vu défiler quatre responsables d’investissement différents, témoigne l’entrepreneur. En plus, mes investisseurs de l’époque étaient entrés avec des montages complexes et, à la sortie, il s’est avéré plus compliqué de négocier avec eux qu’avec les acheteurs. Je voulais éviter l’usine à gaz sur Criteo, or ce sont mes anciens VCs qui me proposaient la complexité dès la série A ! » Invités à challenger les investisseurs de Kiwee, Elaia et AGF PE se sont donc montrés plus convaincants et plus motivés.
Premier modèle pas viable 
Dotée de son relativement modeste trésor de guerre, la start-up planche donc pour affiner son business model et commence par expérimenter son concept auprès de deux types de clients. Primo, les portails et sites communautaires, comme AlloCiné qui propose une recommandation personnalisée
de films, ou encore YouTube. Secundo, elle cible les sites de e-commerce pour lesquels elle génère des ventes « incrémentales » et permet d’améliorer les marges unitaires par une meilleure exploitation du fond de catalogue (Long Tail). Elle expérimente ainsi ce modèle avec le site de DVD en ligne Glowria. Sauf que, si l’idée est excellente, le business model, lui, n’est pas viable. « Il s’est avéré très difficile de mesurer le chiffre d’affaires incrémental généré par Criteo et de prouver la paternité de l’acte d’achat, explique Marie Ekeland, Partner d’Elaia. Car bien que le e-commerçant soit prêt à rémunérer un prestataire pour lui amener du trafic, une fois que l’internaute est sur le site du Web-marchand, ce dernier considère que c’est son métier d’assurer la transformation et n’est pas prêt à partager les revenus de la vente. » Après deux ans de R&D avec les labos de l’INRIA et de Supélec, l’équipe de Criteo doit donc revoir sa copie.
Le reciblage, ça marche !
Preuve que le track-record d’un entrepreneur chevronné n’empêche pas de faire fausse route, à peine permet-il de s’en rendre compte à temps et de ne pas s’obstiner à avoir raison contre tous. « Jean-Baptiste Rudelle s’est montré très lucide sur la nécessité de changer de business model », lui reconnaît la Partner d’Elaia. L’équipe s’attelle donc à trouver un modèle monétisable et « scalable »1 pour sa technologie et touche presque au but… quand elle vient à manquer de munitions. Un deuxième tour de table s’impose dans un contexte où, en guise de promesses tenues, Criteo a certes respecté ses objectifs de dépenses, mais ne génère toujours aucun revenu. Le salut viendra du prestigieux VC suisse Index Ventures qui apporte 7 millions d’euros à la start-up. « Nous avons eu la chance de tomber sur Dominique Vidal (un des fondateurs de Kelkoo, NDLR) qui savait qu’il fallait beaucoup d’itération avant de trouver le bon business model », se félicite Jean-Baptiste Rudelle. La résolution de son équation économique passera donc par un nouveau concept : le reciblage publicitaire. Concrètement, Criteo diffuse des bannières publicitaires affichant les produits consultés mais non achetés par un visiteur sur un site marchand. Ce mécanisme permet donc à l’e-commerçant de rester en contact avec un potentiel client encore indécis en lui soumettant à longueur de journée les produits sur une quantité importante de sites qu’il consulte. « Nous sommes partis du constat que 95 % des internautes passent par un site marchand sans rien acheter, contrairement aux boutiques physiques où 80 % des chalands qui franchissent le seuil finissent par mettre la main à la poche », explique Jean-Baptiste Rudelle. Et pour faire revenir les internautes volatiles, les Web-marchands sont là près à payer… plutôt bien. Le dirigeant de Criteo a beau être tout à fait mutique sur les chiffres (ni CA, ni rentabilité !), les experts du Web2.0 qui suivent de près la success story avancent une estimation de marge brute de 20 % et des revenus dépassant les 50 millions d’euros pour 2010 ! Après avoir ouvert des filiales dans six pays dont l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie, Jean-Baptiste Rudelle veut imposer Criteo comme « category leader » sur le marché américain. Et c’est là que la start-up accueille son dernier VC en mai dernier pour un tour de table de 5 millions d’euros. Moins par besoin d’argent que pour bénéficier du « branding » du prestigieux Family Office Bessemer Venture Partners. De son nouveau QG à Palo Alto, le jeune entrepreneur français ambitionne rien moins que de « casser cette malédiction européenne qui empêche les start-up du Vieux Continent d’atteindre une dimension mondiale ».
A suivre de près donc.
 
(1) La capacité d’un système, ou de ses composants, à être utilisé sur des plates-formes de tailles très inférieures ou très supérieures.
Houda El Boudrari

Visions Croisées

Jean-Baptiste Rudelle, PDG de Criteo, et Marie Ekeland, Partner d’ElaiaPRIVATE EQUITY MAGAZINE : Pourquoi vous êtes-vous choisis ?J.B. R. : Sur ma première start-up (Kiwee), les VCs ne m'ont pas apporté beaucoup plus que leur argent. Du coup, je ne m'attendais pas à plus sur Criteo et j'ai été agréablement surpris par la maturité du marché des VCs et par leur gain de professionnalisme depuis les années 2000. Elaia et AGF PE croyaient vraiment au projet et m’on proposé un deal simple, qui a fait la différence.

M. E. : Nous étions surtout séduits par la pertinence du concept de Criteo, qui répondait à un réel besoin des Web-marchands ayant du mal à faire tourner leur catalogue et à celui de l’internaute confronté à une volumétrie trop importante sur Internet et que des recommandations personnalisées peuvent aider à faire son choix. Mais aussi par la personnalité de Jean-Baptiste Rudelle qui est un vrai développeur et comprend très finement les marchés et leurs évolutions.
PEM : Quel est le rôle d’un VC pendant les moments difficiles ?J.B. R. : La valeur ajoutée d’un VC est d’accorder sa confiance à l’entrepreneur, d’être patient quand il ne délivre pas aussi vite que prévu et d’avoir un esprit positif et ambitieux pour soutenir l’entrepreneur dans les moments difficiles. En l’espèce, Elaia a su adopter une démarche constructive et ne pas réagir en mode panique dès que l’on a dérogé au business plan. Le rôle du capital-risqueur est aussi de faire profiter l’entrepreneur de son réseau. Beaucoup de nos administrateurs indépendants nous ont été conseillés par nos VCs. Elaia nous a présenté notre deuxième administrateur indépendant, Gilles Samoun (PDG de NTRglobal, NDLR) qui nous a donné de bonnes idées dont la piste publicitaire.M. E. : Notre rôle n’est pas d’apporter des idées géniales pour inspirer l’entrepreneur, mais bien de le faire bénéficier d’un certain recul, d’un benchmark sur nos autres participations et, bien sûr, de lui ouvrir notre réseau. Le propre du capital-risque est que ça ne marche pas à tous les coups, ni tout de suite. Nous n’avons jamais douté de la pertinence du concept de Criteo : il fallait juste donner à Jean-Baptiste Rudelle le temps de trouver le bon angle d’attaque. Ce qu’il a fini par faire, de façon admirable.

Repères:

> 2005 : Création de Criteo par Jean-Baptiste Rudelle, Frank Le Ouay et Romain Niccoli. 
> 2006 : Première levée de 3 M¤ auprès d’Elaia et d’AGF Private Equity
> 2007 : Abandon du premier business model de moteur de recommandations personnalisées 
> 2008 : Deuxième tour de table de 7 M¤ auprès d’Index Venture et validation du nouveau business model de reciblage publicitaire
> 2010 : Troisième levée de fonds de 5 M€ auprès de Bessemer Venture Partners et déménagement du QG de Criteo à la Silicon Valley.

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