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L'histoire

Bridgepoint, catalyseur de la réorganisation chez Nocibé 13.02.08

Nocibé, troisième distributeur spécialisé dans le parfum en France, a vécu un automne un peu tendu. En dénonçant sa dépendance par rapport au président-fondateur, Bridgepoint a déclenché, «plus tôt que prévu», la séparation d’avec le dirigeant.
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Al’heure où le leader du secteur fait la une de la presse financière, la chaîne de parfumeries Nocibé, numéro trois discret mais totalisant 319 magasins pour un chiffre d’affaires de 418 millions d’euros, entame sa troisième année de Lbo auprès de l’équipe française de Bridgepoint. L’histoire de ce buy-out a connu un rebondissement majeur à l’automne 2004, qui relance le débat sur la pression exercée par le mécanisme du Lbo sur l’entreprise et ses dirigeants. En effet, deux ans après la finalisation du deal, le fondateur de Nocibé, Daniel Vercamer, quitte la présidence de l’entreprise. Un communiqué de presse sibyllin évoque des «divergences de vue». L’épisode est brutal, mais remet-il réellement en cause le difficile équilibre de la relation entre le capital-investisseur et l’entrepreneur ? Rien de moins sûr à en juger par la dynamique de développement toujours à l’œuvre au sein d’une entreprise qui a su gérer des évolutions importantes avant même l’arrivée d’un fonds d’investissement dans son capital.

Parfaite symbiose…
Créée en 1984, Nocibé connaît un formidable développement à la suite de son rachat par le groupe de distribution néerlandais Kruidvat, en 1998. La société réalise de nombreuses acquisitions, dans un marché en forte concentration. Elle grandit beaucoup, très vite.
Lorsque Kruidvat se désengage de Nocibé, en 2002, Bridgepoint étudie le dossier avec un vif intérêt : le secteur assure une progression modérée mais régulière et l’entreprise dispose d’un réservoir de croissance très attractif. Le pacte d’actionnaires signé en octobre 2002 consacre l’entrée de Bridgepoint, qui devient majoritaire, ainsi que le retour du fondateur au capital de l’entreprise qu’il a créée.
Durant la première année, le capital-investisseur et l’entrepreneur travaillent en symbiose sur les principaux chantiers que sont les rénovations de magasins, la rationalisation de la gestion du besoin en fonds de roulement et celle de la productivité. Valérie Texier, associée chez Bridgepoint, avoue avoir été impressionnée par la forte réactivité de l’équipe dirigeante. «C’était un vrai travail d’équipe, et Daniel Vercamer apportait une vision très pertinente du potentiel de gains de productivité», explique-t-elle. Les exigences de Bridgepoint en matière de rigueur financière sont alors accueillies très naturellement par le management de Nocibé.

… avant la rupture
Deux ans plus tard, le fondateur de Nocibé et Bridgepoint ne semblent plus parler le même langage. Les principaux désaccords concernent des opérations de croissance externe ainsi que les modalités d’une recapitalisation à venir. Conflit de personnes ou désaccord profond sur la gestion de l’entreprise ? Bridgepoint est très impliqué dans l’entreprise, financièrement et stratégiquement, et sait que la gestion par trop «personnelle» d’un seul homme comporte toujours un risque. Le pacte d’actionnaires signé à l’automne 2002 avait largement anticipé cela puisqu’il stipulait que le président-fondateur prendrait, à terme, une «position non exécutive» au sein du groupe. «Daniel Vercamer devait évoluer vers un rôle d’accompagnement de l’équipe dirigeante, explique Valérie Texier. Nous lui avons demandé de quitter la présidence opérationnelle de Nocibé. C’était une décision très difficile à prendre, elle a pu paraître violente, mais c’était la seule possible pour l’avenir de l’entreprise», ajoute-t-elle.
En interne, la transition semble brutale dans un premier temps, bien que la nomination de Xavier Dura, directeur général depuis 1998, en remplacement de Daniel Vercamer apparaisse comme la solution appropriée. «Ma première mission fut d’informer et d’accompagner les 2 000 personnes qui travaillent pour Nocibé aujourd’hui, et pour qui le départ du fondateur soulevait de nombreuses interrogations», raconte le nouveau président. «Une page de l’histoire de l’entreprise s’est tournée, certes, plus tôt que prévu, mais la confiance en l’équipe dirigeante n’a jamais faibli», ajoute-il.
En 2004, Nocibé dépasse les objectifs fixés au budget, et cela malgré les promotions sauvages pratiquées par le leader du secteur durant la période stratégique des fêtes de fin d’année. Pour les deux ans à venir, l’accent est mis sur l’accélération du développement, et de la croissance externe. Nocibé confirme son statut d’acteur franco-français du secteur : «L’international relève de l’opportunité, la France reste notre marché prioritaire, explique Xavier Dura. Nocibé est un challenger, ajoute-t-il, le marché et la situation des concurrents permettent d’envisager de prendre plus de leadership sur le marché local.»

Rôle stratégique de Bridgepoint

Le rôle de Bridgepoint dans la gestion de ces grands chantiers est prépondérant. Valérie Texier est aujourd’hui présidente du conseil de surveillance et, de manière très présente, membre du comité «magasins» – ouverture et suivi des magasins – de l’entreprise. «Cette situation est propre à notre rôle d’investisseur majoritaire», explique-t-elle. Le Lbo poursuit son cours. Il a très certainement accéléré une transition de Nocibé plus qu’il ne l’a forcée. La relation investisseur/entrepreneur est aujourd’hui plus saine, et certainement plus durable. Ainsi Nocibé et Bridgepoint parlent-ils d’une même voix pour saluer le rachat de Marionnaud par le chinois AS Watson : une rationalisation du secteur qui ne peut que favoriser le développement très structuré de Nocibé.
Marie-Laurence Bouchon

Repères

> 1984
Création de Nocibé par Daniel Vercamer  
> 1998
Le groupe de distribution néerlandais Kruidvat devient actionnaire majoritaire de Nocibé
> 1999-2002
Période de très forte croissance de Nocibé, qui procède à de nombreuses acquisitions sur le marché français
> Été 2002
Kruidvat cède la quasi-totalité de sa participation. À l’occasion d’un Lbo, Nocibé est repris par Bridgepoint, Daniel Vercamer et TCR Industrial managers
> Septembre 2004
Bridgepoint décide d’écarter Daniel Vercamer de la présidence du groupe. L’ancien DG, Xavier Dura, le remplace
> Fin 2004
Nocibé est numéro trois du marché français, avec un chiffre d’affaires de 418 millions d’euros estimés pour 2004 et 319 magasins

Visions croisées Bridgepoint/Nocibé

  • Zoom
    Xavier Dura (Nocibé)
    Xavier Dura (Nocibé)
    © D.R.

Valérie Texier, associée chez Bridgepoint, et Xavier Dura, nouveau président de Nocibé, reviennent sur les clés du partenariat.

Private Equity : Comment analysez-vous les événements de l’automne 2004 ?

V. Texier : Nous avons très bien travaillé avec Daniel Vercamer en 2002 et 2003. Sa vision des potentiels d’amélioration de la rentabilité en France nous a beaucoup aidés. Mais il était inscrit que son rôle devait évoluer vers celui de «non exécutif», aux côtés d’un management de direction en place. Dés notre arrivée, nous avons travaillé en étroite collaboration avec l’équipe dirigeante, ce qui a permis de gérer la transition en toute intelligence.

X. Dura : Il est évident qu’une situation déséquilibrée et une mésentente entre l’actionnaire majoritaire et un dirigeant, surtout lorsqu’elles perdurent, ne pouvaient qu’être pénalisantes pour la bonne marche de l’entreprise. La transition a pu se faire dans la sérénité grâce à la qualité de l’équipe dirigeante de Nocibé et à une vision partagée du développement de l’enseigne. 

Private Equity : Aujourd’hui, quelle est la nature des relations investisseur/entrepreneur ?

V. Texier : Chez Bridgepoint, on ne parle pas de relation avec l’ «entrepreneur», mais avec l’équipe dirigeante. On ne travaille pas avec un seul homme, mais avec une équipe qui, dans le cas de Nocibé, s’est révélée très soudée et très réactive. Nous sommes très proches, aujourd’hui comme hier. Mais, le Lbo n’est pas une relation affective… l’investisseur et l’entreprise sont ensemble pour une période donnée.

X. Dura : Nos relations sont de grande qualité, humainement et professionnellement. Nous partageons avec Bridgepoint une vision
très simple et très rationnelle de ce que doit être notre collaboration.

Private Equity : Pensez-vous que les objectifs de l’investisseur et de l’équipe dirigeante puissent être contradictoires ?

V. Texier : Non, absolument pas. D’autant plus que, dans les Lbo, l’équipe dirigeante est également associée financièrement à la création de valeur. Certes, les exigences de l’investisseur en termes de rigueur financière sont fortes. Mais elles ne vont jamais à l’encontre de la logique de l’entreprise et de son business. A l’inverse, elles l’accompagnent. 

X. Dura : L’équipe de Bridgepoint est très impliquée dans la stratégie de Nocibé, notamment en matière de croissance externe. Nos expertises sont très complémentaires. Nous oeuvrons ensemble pour le développement de la société, tout en sachant que notre collaboration n’est qu’une étape de celui-ci.

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