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L'histoire

Souriau : la bonne connection d’Axa 28.12.07

Axa Private Equity vient de vendre Souriau à Sagard. Son opération de détourage sur l’ex-division technique de FCI n’était pas évidente. Confiance et souplesse à l’égard du manager ont permis un pari gagnant.
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Il y a quelques mois, Dominique Gaillard nous expliquait chercher à «éviter la concurrence frontale avec d’autres acheteurs». Souriau, fabricant de connecteurs dédiés aux environnements «sévères», est en effet un bon exemple des relations d’Axa Private Equity avec le monde industriel. Le directeur des fonds directs avait connu François Calvarin du temps où il était directeur industriel de TLD, spécialiste des équipements de pistes aéroportuaires alors sous LBO. Par la suite, ce dernier était devenu patron d’une société spécialisée dans les câbles avant de rentrer en 2000 chez FCI à la tête de MAI… En effet, la société Souriau, née en 1917 pour la réparation des magnétos et systèmes électriques automobiles, a suivi toutes les évolutions de la connectique électrique pour devenir un spécialiste dans l’aéronautique, avec l’essor de Dassault dans les années 60 et d’Airbus après, puis l’aérospatiale, la défense (Thalès, Eads) et divers secteurs industriels… En 1989, elle avait été rachetée par Framatome, qui souhaitait diversifier ses activités nucléaires et avait aussi repris Burndy (concurrent direct de Souriau) et Jupiter (plus spécialisé sur la marine et les industries lourdes). Non sans un certain laxisme puisque les trois filiales ne seront réunies au sein de la division Military/Aerospace and Industrial (MAI) qu’en 1998…

Un deal financier… et social
Début 2002, la filiale connectique d’Areva/Framatome renommée FCI a souffert de l’impact de la bulle sur les télécoms/datacoms et décide de se séparer de MAI, seul actif non stratégique et rentable. De nombreux industriels et concurrents se montrent intéressés, le manager s’en méfie, se rappelle de son bon contact avec Dominique Gaillard. «Il est venu nous voir en mai 2002, il cherchait des solutions et je ne suis pas sûr qu’il connaissait beaucoup d’autres fonds…» Après un après-midi de travail, l’équipe d’Axa PE décide de se lancer sur ce dossier pour rattraper son retard sur les industriels. Cinq mois plus tard, le fonds emporte le deal notamment en étant mieux disant au niveau social : face aux industriels, le fonds garantit qu’il ne réalisera pas de coupe et qu’au contraire, obligé de reconstruire une vraie entreprise, il puisera dans le personnel de FCI – qui avait lancé un plan de pré-retraites – pour renforcer certaines branches. Il embauchera in fine 75 salariés supplémentaires provenant de FCI.
Un autre aspect a joué un rôle dans la transaction, la détermination de François Calvarin, qui a poussé en faveur de cette solution et permis de faire face aux lobbyings des concurrents : le français Radiall, qui tentait de convaincre les ministères que cette activité technique ne pouvait revenir à un financier, l’américain Deutsch, qui faisait jouer ses relations auprès de la DGA pour emporter le morceau, etc.

Un business solide et récurrent
«Nous avons dû payer un bon prix», reconnaît Dominique Gaillard, pour créer une nouvelle société qui fabrique des connecteurs permettant de supporter des conditions extrêmes (de température, pression, vibration, radio-activité, corrosion…), également utilisés dans divers secteurs : ferroviaire, maritime, robotique, nucléaire, instrumentation géophysique et même les voitures de course.
«Un connecteur validé par Airbus, s’il répond au spectre demandé, nous permet d’être lié au fabricant pour des durées pouvant aller jusqu’à soixante ans», insiste François Calvarin. Un business durable d’autant moins enclin aux cycles – par rapport à la connectique télécom ou informatique – qu’il compte très peu d’acteurs techniques. En fait moins de 5 avec les anglo-saxons Deutsch (environ 400 millions d’euros de CA sur ces segments), Amphenol (ex-KKR, environ 450 millions de CA), et peut-être ITT-Cannon ou Smith Industry…
L’avantage concurrentiel de Souriau ? Une reconnaissance historique et une avance technologique, qui lui ont permis de décrocher des contrats long terme avec Airbus mais aussi désormais Boeing (sur les connecteurs composites de son prochain avion). Et la maîtrise de la complexité logistique liée à ce business : gérer près de 100 000 références (en proposer près d’un million «fabricables») et les fournir à plusieurs milliers de clients nécessite un certain savoir-faire. Sous la coupe de FCI, la division MAI a su conserver un fort département R&D, depuis 2003 soutenu par un pôle créé en Inde par François Calvarin.

Un départ difficile vite rattrapé
«Pour autant, notre partenaire financier est arrivé en plein crise aéronautique de l’après 11 septembre – avec en plus une baisse du dollar impactant 10% de notre activité. Les indicateurs ont beaucoup souffert au début», explique François Calvarin. Il a fallu beaucoup travailler pour sécuriser un programme qui consistait à reconstituer un groupe homogène en partant d’une simple division de FCI : quatre mois se sont encore écoulés entre le signing, fin 2002, et le closing final, en avril 2003, afin que le fonds puisse définir les grandes lignes de ce carve-out : négocier avec le vendeur pour décider quelles fonctions supports pouvaient être séparées et comment (informatique, compta, etc.), organiser les nouvelles filiales internationales de Souriau, parfois en utilisant provisoirement les locaux de FCI, etc. La nouvelle entité ne pouvait conserver l’usine de FCI située en Hongrie : celle-ci a été transférée au Maroc dans l’année qui a suivi… ce qui a peut-être ralenti la relance de la croissance, finalement intervenue à partir de 2004.
En trois ans, le groupe situé à Versailles sera passé de 145 à près de 159 millions d’euros de CA pro-forma, avec 7 usines : à Champagné (Sarthe) pour l’aéronautique et l’industrie, Marolles (Val-de-Marne) pour la défense et l’espace, Cluses (Haute-Savoie) pour le décolletage, au Maroc donc pour l’assemblage des connecteurs fabriqués à Champagné, et selon le même modèle aux Etats-Unis pour l’aéronautique et en République Dominicaine pour l’assemblage américain, en plus du Japon pour le ferroviaire. «Ces délocalisations n’ont pas empêché de créer 200 emplois nouveaux en France [sur un effectif total monde de 1 600] pendant ce LBO.» Tout en augmentant la productivité et la rentabilité, de 14,3 à 18 millions d’Ebit… avec un objectif à 20 millions pour juin 2006, qui a facilement convaincu le nouveau repreneur, Sagard.

Repères

> 1917
M. Souriau crée une entreprise spécialisée dans les systèmes électriques automobile
> 1989
Framatome rachète avec Souriau un spécialiste mondial de la connectique aéronautique
> 1998
l’ensemble constitué avec Jupiter et Burndy devient MAI, relancé par l’arrivée de François Calvarin en 1999
> début 2003
Axa PE réalise un carve-out compliqué sur MAI, rebaptisé Souriau 2004 ; l’ancienne usine hongroise est transférée au Maroc, la croissance repart
> octobre 2005
deuxième Lbo réalisé par Sagard avec comme premiers objectifs : 168 ME de CA et 20 ME d’Ebit en juin prochain.

Visions croisées Souriau/Axa PE

François Calvarin, Pdg de Souriau, et Dominique Gaillard, directeur général des activités fonds directs d’Axa PE, reviennent sur cette belle histoire.
Private Equity : Qu’est-ce qui vous a en premier convaincu chez votre partenaire ?
François Calvarin :  Quand j’ai découvert que FCI voulait vendre à des industriels concurrents, j’ai décidé d’aller voir des fonds avec un business-plan résumé sur trois feuillets A4. L’équipe de Dominique Gaillard m’a fait confiance tout de suite, alors que les autres voulaient des due diligences pour lesquelles nous n’avions pas de temps. On a vu des banquiers et monté un financement en trois semaines. Pourtant, je ne présentais que des comptes de management, MAI n’étant alors même pas une filiale de FCI…
Dominique Gaillard : Déjà en tant qu’actionnaire de TLD avec Charterhouse, j’avais pu apprécier ce manager plein d’idées de produits et de nouveaux projets, avec beaucoup de «peps», un sens certain des évolutions et besoins technologiques futurs de ses clients – c’est lui qui a créé la division équipements aéroportuaires, finalement la seule aujourd’hui restée au sein de la société TLD version cotée en Bourse. Il a fait preuve, avec son équipe, d’une très forte expertise et d’une grande flexibilité.
Private Equity : Les premiers mois n’ont pas toujours été faciles…
FC : Effectivement, à chaque rendez-vous avec Axa PE, j’apportais des indicateurs en retrait par rapport aux prévisions de marché et de rentabilité. Et pour compenser, je demandais d’augmenter les efforts en capex et investissements R&D… A plusieurs reprises, le fonds m’a suivi et a été un partenaire courageux – on s’est parfois rapprochés des limites fixées par les covenants des prêteurs (Calyon, ING et ICG) –, présent sans être trop interventionniste non plus.
DG : Nous avions une totale confiance en ce management et nous l’avons maintenue. Nous avions aussi mis en place un très bon conseil de surveillance, avec des experts comme Philippe Lhotellier (de la société Lhotellier Montrichard), qui a pu nous appuyer au sein du Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (GIFAS), ou Didier Genty (ex-Alstom) et Jean-Marie Fulconis (TLD).
Private Equity : Pourquoi finalement une séparation si rapide ?
FC : Nous voulions faire des acquisitions sur des niches complémentaires à nos activités. Les gérants d’Axa PE avaient été très clairs sur le fait qu’ils ne voulaient pas nous suivre au-delà d’un certain délai. Et comme ils l’avaient promis, ils nous ont aidé,
en excluant des enchères les nombreux industriels intéressés, à trouver ce partenaire idéal qui doit apporter, outre des moyens, toute son application dans le conseil pour aider notre développement.
DG : Le prix de la sortie n’a effectivement pas été le seul critère de notre analyse. L’adossement à Sagard va permettre à Souriau d’avancer sur les projets de croissance externe que nous avions initiés. Nous avons observé beaucoup de cibles potentielles
en Allemagne et aux Etats-Unis, pour consolider des marchés ou se donner des ouvertures géographiques… Mais le temps n’a pas toujours joué avec nous.
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