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Enquete

L’hôtellerie affiche (presque) complet pour le Private Equity 06.07.16

La croissance devrait se poursuivre ces prochaines années, avec 2 milliards de touristes internationaux prévus d’ici 2030.
© D.D.R.
Au croisement de plusieurs classes d’actifs, le secteur hôtelier attire des investisseurs aux poches profondes et aux motivations diverses. Au point de laisser peu de place pour le capital investissement classique, à quelques rares exceptions près.
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Sans le coup d’arrêt des attentats du 13 novembre, 2015 s’annonçait comme l’année record des transactions hôtelières en France, supérieures aux 2,8 milliards d’euros enregistrés en 2014, contre 700 millions en 2009. Fonds d’investissement étrangers, groupes hôteliers internationaux, investisseurs institutionnels et autres millionnaires en mal d’actifs tangibles se disputent en effet palaces, hôtels parisiens ou bâtisses de charme à la montagne ou en bord de mer. « L’hôtellerie bénéficie tout d’abord d’une tendance de fond : l’accroissement exponentiel des déplacements au niveau mondial », explique Jean-Marc Pailhon, président d’Extendam, société d’investissement spécialisée dans l’hôtellerie et l’immobilier, notamment. Certes, le nombre de touristes dans le monde flirte avec les 1,2 milliard de personnes en 2015 alors qu’ils étaient 500 millions il y a vingt ans. Et la croissance devrait se poursuivre ces prochaines années, avec 2 milliards de touristes internationaux prévus d’ici 2030. « À cela s’ajoute le paradoxe français, à savoir un déficit structurel d’offres d’hébergement alors que la France est la première destination touristique mondiale, poursuit Jean-Marc Pailhon. Et le problème n’est pas que quantitatif mais aussi qualitatif, puisque le parc hôtelier majoritairement constitué de petits établissements de 1 à 2 étoiles souffre d’un retard dans la modernisation de son offre et la mise à niveau par rapport aux standards exigeants de la demande actuelle. »

Modèle patrimonial

Les fondamentaux du secteur ont donc tout pour séduire : sous-capacité d’accueil, taux d’occupation parmi les plus élevés du monde malgré une vétusté avérée et donc un besoin urgent de modernisation et de dépoussiérage. Réveiller les belles endormies, c’est un peu le cœur de métier du private equity. Alors, pourquoi finalement si peu de « success stories » – hormis B&B Hotels, qui est presque l’exception qui confirme la règle ? « Des besoins de financement très importants, un cycle de production assez long, et la double composante immobilière et fiscale du secteur hôtelier le rendent plus éligible à un modèle d’investissement patrimonial, explique Thomas Gaucher, partner d’Easton CF, qui a récemment conseillé Morgan Stanley Real Estate dans la cession d’un portefeuille de trois hôtels quatre étoiles parisiens à Swiss Life REIM, et a aussi accompagné le management de B&B Hotels lors de leur LBO quaternaire avec PAI. Sur les 2 à 3 milliards d’euros de transactions annuelles qu’enregistre le secteur, seuls en effet quelques dizaines de millions sont captés par le private equity, sauf cette année où le LBO quaternaire de la chaîne B&B Hotels annoncé fin 2015 pour une valorisation de 800 millions d’euros a affolé les compteurs. « Le succès de B&B Hotels tient à l’exceptionnelle conjonction de trois facteurs : la transformation de l’offre d’hôtellerie économique avec un positionnement moderne axé sur un excellent rapport qualité/prix, l’atteinte d’une taille critique importante dans un délai record et la réussite de l’internationalisation du concept », détaille Eric Bismuth, président de Montefiore Investment, qui a fait partie des deux tours de table des LBO précédant la vente récente à PAI. « Nous avons réussi la transformation d’un acteur régional qui réalisait 2 % de croissance organique en un acteur européen qui en génère 15 % et qui a multiplié sa taille par cinq en dix ans. Cette success story est difficilement reproductible en France à l’heure actuelle, même s’il y a de la place pour quelques B&B européens », conclut l’investisseur, qui est en passe de finaliser le closing de son quatrième fonds en levant 350 à 400 millions d’euros en un temps record. Est-ce à dire que la fenêtre de tir s’est refermée pour le private equity dans le secteur ? « Nous avons globalement assisté à l’émergence de très peu de nouveaux concepts réussis ces dernières années », constate Amaury Leleu, directeur de participations chez CM-CIC Investissement, qui soutient Okko Hotels, justement une de ces nouvelles chaînes qui essaient de dépoussiérer les traditions de l’hôtellerie d’affaires. Créé par le cofondateur d’Accor Paul Dubrule et dirigé par Olivier Devys (un transfuge d’Accor), Okko Hotels propose des formules « tout compris » avec salle de gym et buffet ouvert 24h/24 pour des prix contenus. Le groupe, qui compte déjà quatre établissements à Nantes, Grenoble, Lyon et Cannes, est actuellement en train de construire ses trois premiers hôtels parisiens, en plus d’ouvertures prévues cette année à Rueil-Malmaison, Cannes et Bayonne. Outre CM-CIC Investissement, la nouvelle chaîne hôtelière compte dans son tour de table 123Venture, qui a soutenu la création dès 2012.

La concurrence des « nouveaux millionnaires »

« La surenchère des valorisations face à l’explosion de la demande pour les beaux actifs impose de choisir avec soin le bon projet, poursuit Amaury Leleu (CM-CIC Investissement). Aujourd’hui, on ne démarre pas une plateforme de build-up “from scratch” : le groupe Oletis dans lequel nous avons investi récemment s’est constitué en 2007 sur la base d’une stratégie industrielle créatrice de valeur opérationnelle en se concentrant sur l’acquisition et la rénovation d’hôtels 2 à 4 étoiles en centre-ville des principales métropoles régionales. » Déjà à la tête d’un parc de 15 hôtels sur l’axe Lille-Paris-Lyon-Marseille, exploités sous six enseignes différentes (Ibis, Novotel, Mercure, Holiday Inn, etc.), Oletis a réalisé l’an passé plus de 35 millions d’euros de chiffre d’affaires pour quelque 290 salariés. Car l’hôtellerie moyenne gamme et le tourisme d’affaires restent encore les seuls segments où le private equity est le bienvenu, souvent en renfort des capitaux familiaux.

L’hôtellerie de luxe est, elle, prise d’assaut par les investisseurs asiatiques en quête de « trophy assets ». À cela s’ajoute la concurrence de tous les « nouveaux millionnaires » qui ont trouvé dans le secteur la cible d’investissement par excellence, à la fois paradis fiscal (pour l’ISF, l’impôt sur le revenu, les plus-values de cession) et véritable achat plaisir pour satisfaire leur goût de la démesure et afficher leur nouveau statut… On y retrouve la crème des serial-entrepreneurs (Xavier Niel, Jean-Philippe Cartier…), des familles d’industriels (Dassault, Chopard, LVMH…) et de la « jet-set » télévisuelle (Stéphane Courbit, Arthur…). Un des derniers venus dans l’hôtellerie de luxe n’est autre que le plus célèbre des managers LBO, Pierre Bastid. L’ex-patron de Converteam a créé fin 2013 « une collection d’hôtels de luxe » baptisée Evok, dont il a confié le pilotage à un professionnel de l’hôtellerie (Emmanuel Sauvage, ancien directeur du Burgundy à Paris). Outre deux projets d’hôtels parisiens pour un budget total de 100 millions d’euros, il a aussi racheté, fin 2014, le Restaurant du Palais-Royal. « Nous sommes en train d’assister depuis quelques années au remplacement d’une génération d’hôteliers par une génération d’investisseurs au faible coût du capital mais à la connaissance limitée du secteur. Cet afflux massif d’argent participe à une bulle entretenue aussi par les pouvoirs publics obsédés par l’objectif de doubler le nombre de chambres pour accroître l’attractivité de Paris dans l’accueil de grands événements internationaux, analyse Eric Bismuth, de Montefiore, dont l’hôtellerie est un des secteurs clés de la stratégie d’investissement. »

Ubérisation

Un manque de professionnalisme et une surenchère dans les valorisations qui ne prennent pas en compte les profondes mutations qui chamboulent la profession. « Le marché devient de plus en plus technique : on ne s’improvise pas hôtelier, prévient Amaury Leleu, de CM-CIC Investissement, qui compte dans son portefeuille deux participations dans ce secteur, Okko Hotels et le groupe d’hôtels franchisés Oletis. Aujourd’hui, la pratique intensive du yield management impose presque de changer son prix trois fois par jour pour obtenir un bon mix entre le taux d’occupation et le prix moyen. » Même si les statistiques officielles ne reflètent pas encore l’impact de l’ubérisation, la pression est certaine sur les modèles économiques et les stratégies défensives des grands groupes hôteliers. « Le secteur a connu deux grands bouleversements ces cinq dernières années : la montée en puissance des OTA, de type Booking et Expedia, et la concurrence des sites de location entre particuliers avec la croissance fulgurante de Airbnb, dont l’offre compte plus de 40 000 chambres à Paris contre 78 000 pour l’hôtellerie classique, souligne Thomas Gaucher, d’Easton CF. Ce qui n’a pas manqué aussi de calmer les ardeurs de certains investisseurs financiers face à des mutations dont les conséquences ne sont pas encore complètement cernées. » Le private equity a préféré se reporter ainsi sur l’hôtellerie de plein air, qui bénéficie d’une croissance sans nuage ces dernières années, et qui reste une affaire de professionnels relativement protégée des trublions de l’économie collaborative.

Les nouveaux acteurs

Il y a encore une dizaine d’années, le private equity représentait plus de 40 % des investisseurs du secteur, selon une étude du cabinet spécialisé MKG et Jones Lang Lasalle en 2007, avant qu’il ne soit détrôné par les investisseurs immobiliers, les assureurs, les banquiers (notamment Amundi, Crédit Mutuel Arkéa, SwissLife) très attirés par le couple risque/rendement de la classe d’actifs. La concurrence des foncières et autres investisseurs institutionnels pour les grandes transactions, et des family offices et véhicules de défiscalisation pour les petits hôtels, ont dès lors rendu prohibitif l’accès aux fonds LBO qui recherchent des TRI plus importants que les rendements de 8 à 10 % espérés par ces acteurs de plus long terme. Ceux qui s’y sont risqués sont des fonds à composante immobilière qui disposent de poches d’investissement à horizons plus longs, comme ce fut le cas de LFPI avec Time Hôtels. Et bien sûr les fonds retail ISF, à commencer par 123Venture, qui ont entretenu un véritable engouement pour le secteur depuis la loi TEPA.

Au point de déboucher sur la création de sociétés de gestion dédiées au secteur comme Novaxia Asset Management, qui gère et commercialise des véhicules d’investissements immobiliers et hôteliers, Turenne Hôtellerie, structure spécialisée de Turenne Capital avec une soixantaine de millions d’euros sous gestion et une dizaine d’hôtels sous enseigne Mercure et Novotel en portefeuille, ou Extendam, qui revendique la place de premier investisseur dans le secteur avec une centaine d’hôtels en portefeuille.

En 2014, l'investissement a représenté :

En Europe : +77 % par rapport à 2013 / 14 Md€

En France : +18 % par rapport à 2013 / 2,8 Md€

 « À cela s’ajoute le paradoxe français, à savoir un déficit structurel d’offres d’hébergement alors que la France est la première destination touristique mondiale. » Jean-Marc Pailhon, président, Extendam

Houda El Boudrari
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