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L'histoire

Eliokem, à la conquête de l’Asie 17.11.10

Entré au capital d’Eliokem en 2006, Axa Private Equity a accompagné le chimiste de spécialité dans son développement industriel en Asie. Après avoir recruté Patrice Barthelmes en début d’année pour diriger le groupe, le fonds vient d’annoncer la cession de sa participation à l’industriel Omnova.
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C’est sûr, je me sens un peu comme un enfant à qui l’on reprend un jouet qu’on venait juste de lui confier… », constate, amusé, Patrice Barthelmes, président du directoire d’Eliokem. Recruté par Axa Private Equity en janvier 2010 afin de présider aux destinées du chimiste de spécialité, il est en effet sur le point de se retrouver avec un nouvel interlocuteur dans la boardroom, l’américain Omnova, qui a fait une offre ferme d’acquisition au fonds français pour sa participation de 85% dans la société. Une fois les différentes étapes juridiques de la cession passées, Eliokem entamera donc un nouvel épisode de sa jeune histoire.
Ancienne filiale de Goodyear, Eliokem est née en 2001 du carve-out mené par le géant américain de ses activités de chimie de spécialité, vendues au fonds Littlejohn. Avec une usine au Havre et une à Akron, dans l’Ohio, la société produit des polymères et des produits chimiques spécialisés, tels des résines de revêtement, des modificateurs élastomères, des antioxydants ou encore des résines de renforcement de caoutchouc. En 2003, la société construit une première usine en Chine, à Ningbao, élargissant ainsi son empreinte industrielle à l’Asie.
Changement de propriétaire
En 2006, nouveau changement de propriétaire, avec le rachat de la participation de Littlejohn par Axa Private Equity sur la base d’une valeur d’entreprise de 130 millions d’euros. Jacques Collonge, le dirigeant historique d’Eliokem, déjà à la tête des activités lorsqu’elles étaient dans le giron de Goodyear, investit avec le management pour obtenir 20% du capital. Eliokem emploie alors 460 personnes et réalise 164millions d’euros de chiffre d’affaires. Les années qui suivent vont se placer sous le signe des build-up.
Début 2008, Eliokem rachète pour 20millions d’euros la division Polymères de l’indien Apar Industries, mettant ainsi la main sur une usine en Inde et 40% de parts de marché dans le pays. Axa Private Equity remet à cette occasion de l’equity – entre 5 et 10millions d’euros –, pour compléter le financement de l’opération par dette, et détient désormais 85% du capital. En parallèle, il est décidé de renforcer la présence de la société en Chine avec la construction d’une deuxième usine, sur le site de Caojing, près de Shanghai. Mi-2008 pourtant, les signaux macroéconomiques passent au rouge. L’opération est mise en suspens.
2009 : retrait du dirigeant historique 
Fin 2008, Jacques Collonge se retire et part à la retraite. Un désaccord stratégique concernant la Chine ? « Non, la Chine était un bon projet », affirme Thibault Basquin, directeur chez Axa Private Equity, sans autre précision. En pleine crise financière, il n’est alors pas facile de faire venir un nouveau manager. Pendant que le fonds actionnaire cherche la perle rare, Philippe Carabin, le directeur administratif et financier d’Eliokem, est nommé président du directoire. « En ces temps de récession, de maîtrise des coûts et de préservation de la trésorerie, son profil de financier était très adapté », explique Thibault Basquin. De fait, durant le plus fort de la crise, les échanges entre l’actionnaire et le management d’Eliokem sont plus qu’hebdomadaires. «Nous faisions, en particulier, un point de trésorerie tous les quinze jours », confie Thibault Basquin. Par ailleurs, un plan de départs volontaires a été mis en place pour permettre à la société d’améliorer sa compétitivité.
La recherche d’un nouveau CEO commence véritablement mi-2009. Patrice Barthelmes, directeur de la division Packaging & Building de Roham&Haas, prend son poste début janvier 2010, juste après la relance, fin 2009, du projet de construction de la seconde usine chinoise. « L’opération a été financée par la trésorerie propre du groupe », précise Thibault Basquin, et 13 millions d’euros sont investis à cette occasion. Parallèlement, la société a aussi décidé de renforcer son site français du Havre en investissant 2 millions d’euros dans une nouvelle unité dédiée à la fabrication de résines « base aqueuse » pour peinture. « Il était pour nous important que la société investisse non seulement dans les zones émergentes, mais aussi dans son outil industriel historique afin de le positionner sur des produits à plus forte valeur ajoutée », indique Thibault Basquin. 
En quatre ans, le chiffre d’affaires d’Eliokem dans les pays émergents est passé de 20 % à 45 % des ventes. Ce facteur différenciant a permis à la société de limiter la baisse de son activité à 8 % en 2009, contre des baisses de l’ordre de 20 à 25 % pour l’ensemble du secteur chimie. Si les ventes ont souffert de la crise – le chiffre d’affaires est passé de 200 millions d’euros en 2007 à 170 en 2009 –, l’hémorragie a été plus faible que chez la concurrence. Par ailleurs, grâce à la diversité de ses débouchés commerciaux, la société est aux premières loges pour bénéficier de la reprise. « Nous avons pu profiter à plein du retour de la croissance en zones émergentes à partir du deuxième semestre 2009. Fin août 2010, nous étions à 205 millions d’euros de chiffre d’affaires sur douze mois glissants et, sur l’ensemble de l’année en cours, nous attendons près de 220 millions d’euros », précise Patric Barthelmes. De plus, la société a maintenu des niveaux de rentabi-lité élevés durant la crise, son Ebitda étant passé de 27 millions d’euros en 2009 à plus de 35 millions d’euros en 2010. 
Une vente plus précoce que prévue 
Cette rentabilité et ce bon positionnement géographique d’Eliokem, aussi bien commercial qu’industriel, n’échappent pas à la concurrence. Début 2010, des industriels viennent frapper à la porte de l’actionnaire.
« Coup sur coup, nous recevons trois marques d’intérêt spontanées à un mois d’intervalle », note Thibault Basquin. Axa Private Equity, dont l’horizon de sortie est plutôt prévu en fin d’année 2011, confie alors un mandat à la petite banque d’affaires BDA pour mener une réflexion sur une possible cession. Au final, c’est l’offre d’Omnova, chimiste de spécialité américain coté, aux850 millions de dollars de chiffre d’affaires, qui est retenue. « Ils proposaient le prix le plus élevé mais avaient aussi le meilleur projet social et industriel », résume Thibault Basquin. Accordée jusqu’à fin décembre 2010, l’exclusivité devrait déboucher sans surprise sur la vente effective du français avant cette date, le financement de l’opération ayant été assuré par Omnova le 22 octobre 2010 grâce à une émission obligataire de 250millions de dollars. Le montant de la transaction, fixé à 227,5 millions d’euros, permet à Axa Private Equity de réaliser un multiple supérieur à deux, et plus de 20% de Tri. « C’est pour nous une belle opération, mais c’est surtout un rachat qui fait sens puisqu’il y a peu de chiffre d’affaires commun géographiquement entre Eliokem et Omnova, et que leurs produits sont complémentaires », précise Thibault Basquin. Pour Patrice Barthelmes, la cession ne change rien, c’est business as usual. « Le premier lot est sorti de notre nouvelle usine chinoise le 29 septembre. C’est tout ce qui doit compter pour le dirigeant », dit-il. Une fois la cession closée, Eliokem inté grera la division Performance Chemicals d’Omnova.
Stéphane Gillier

Repères

> 2001 : Naissance d’Eliokem du carve-out mené par Goodyear sur ses activités de chimie de spécialité. Littlejohn actionnaire majoritaire.
> 2003 : Construction d’une première usine en Chine.
> 2006 : Rachat de la société par Axa Private Equity pour une valeur d’entreprise de 130 M¤. Eliokem réalise 164 M¤ de CA.
> 2008 : Rachat de la division Polymères d’Apar Industries en Inde. Réinvestissement d’Axa.
> 2010 : Construction de la deuxième usine en Chine.
> 2010 : Rachat par Omnova pour une valeur d’entreprise de 227 M€.CA prévu : 220 M€.

Visions Croisées

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    Thibault Basquin
    Thibault Basquin
    © D.R.
Thibault Basquin, directeur chez Axa Private Equity, et Patrice Barthelmes, président du directoire d’Eliokem.
PRIVATE EQUITY MAGAZINE : Comment vous êtes-vous choisis ?
P. B. : Après le rachat par Dow Chemical, en 2009, de Rohm & Haas, dont j’étais le directeur de la division Packaging & Building, j’étais à l’écoute du marché. J’ai eu le choix entre deux propositions, dont celle d’Axa Private Equity. Ne connaissant pas le monde du LBO, je me suis renseigné et on m’a vite rassuré sur le professionnalisme du fonds. Axa m’a en outre donné l’opportunité d’étudier en détail le profil de la société. J’ai vu que l’aventure Eliokem pouvait être belle, avec une marge de progression sur les opérations et en matière d’innovation. Avec Thibault Basquin, nous étions par ailleurs en phase sur le plan de développement à appliquer pour la société. À partir de là, il n’y avait aucune raison de ne pas y aller.
T. B. : Patrice Barthelmes était un dirigeant reconnu de multinationale responsable de 2 milliards d’euros de chiffres d’affaires, prêt à quitter le confort du big business pour prendre en main la destinée d’une PME industrielle. Il s’agissait d’un profil idéal pour remplacer le dirigeant historique. De plus, il connaissait le secteur et pouvait apporter une vision stratégique propre à favoriser la poursuite du déploiement de la société dans les zones émergentes. Nous ne pouvions qu’être séduits.
PE MAG : Comment s’est passée la séparation ?
P. B. : J’étais arrivé chez Eliokem avec l’idée qu’Axa Private Equity resterait l’actionnaire majoritaire au moins pendant deux ans. Il est donc certain que l’annonce d’une possible sortie d’Axa dès cette année m’a laissé un sentiment partagé, entre amertume et fierté pour l’intérêt que l’on portait à la société.
C’est au mois de mars que Thibault Basquin m’a informé des approches faites par des industriels pour Eliokem. Dès lors, j’ai bien entendu joué le jeu et me suis impliqué dans le processus de due diligence mené par les acquéreurs potentiels.
T. B. : Après les marques d’intérêt en début d’année, nous avons discuté de la stratégie à mener. Patrice Barthelmes comprenait que les contraintes de l’actionnariat financier nous obligeaient à examiner toute offre d’acquisition intéressante. Lorsqu’il s’est avéré que les intentions des acquéreurs potentiels étaient sérieuses, nous avons travaillé ensemble pour valoriser la société. L’anticipation des prévisions fait parfois partie de notre activité.
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