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L'histoire

Innoven ramène Rockwell à la surface 28.07.09

Innoven ramène Rockwell à la surface
Au bord de la faillite après seulement trois ans d’existence, RockWell Petroleum a été sauvé in extremis par le travail de l’un de ses actionnaires minoritaires, Innoven Partenaires. Une leçon de prise de risque inédite pour un VC français. Récit d’un « coup d’état».
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Innoven ramène Rockwell à la surface
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Lorsqu’Innoven Partners décide d’investir en 2005 dans la jeune société pétrolière canadienne RockWell Petroleum, tous les indicateurs semblent clignoter au vert. La technologie RockWell (RWT) offre une occasion inédite de valoriser des champs pétrolifères américains inexploités depuis plusieurs décennies. Traditionnellement les compagnies pétrolières creusent des puits depuis la surface pour faire remonter le pétrole. Mark See et John Hoak, ingénieurs du secteur minier, ont développé depuis une dizaine d’années une technique adaptant les méthodes d’extraction des minerais au pétrole. À partir de tunnels construits sous les nappes pétrolifères, l’hydrocarbure est pompé puis ramené à la surface par le seul effet de gravité. Au final, la technique permettrait d’extraire la majeure partie des réserves de pétrole des puits déjà exploités alors que la méthode conventionnelle ne permet d’extraire que 20% des réserves. Le business plan présenté par le groupe d’ingénieurs prévoit de se déployer en trois étapes: développer la technologie, valoriser les champs de pétrole acquis et introduire in fine la société en bourse. 

Levées faciles 

Dès la création, les fondateurs vont s’attirer les faveurs de nombreux investisseurs européens comme le suisse Semper Gestion, Go Capital, Fidelity, le holding d’investissement de Bernard Arnault, la Banque Martin Maurel, le fonds anglais CQS, ainsi que des « hedge funds » et le fonds de capital-risque français Innoven. Fidèle à sa stratégie de co-leader, le VC suit les deux premiers tours de financement en 2005 et 2006 et investit environ 11 millions d’euros pour devenir le troisième actionnaire avec 7% du capital. Rapidement, l’actionnariat enfle pour atteindre 800 stockholders. En moins de trois ans, la société collecte 280 millions de dollars, avec un potentiel de création de valeur de l’ordre du milliard de dollars. L’entreprise canadienne se retrouve à la tête d’un parc de 300 km2 de champs pétroliers et gaziers en Pennsylvanie, au Wyoming, en Louisiane et au Texas.

Le business modèle dérape

Sur le marché mondial, la forte hausse du prix du baril de 2007 jusqu’à 140 dollars aiguise l’appétit des compagnies pétrolières pour financer des techniques d’extraction plus coûteuses. Scénario idéal pour les dirigeants fondateurs de Rockwell, qui voient la valorisation de leur procédé décoller. Sans solliciter les actionnaires, le management et son board décident de lever 135 millions de dollars par placement privé au troisième trimestre 2007. Fidelity y participe à hauteur de 45 millions, à un cours par action de 4,5 dollars, là où il n’était que de 0,45 dollars en 2005. Face à cet emballement soudain, les dirigeants d’Innoven réagissent. « Nous avons pressenti à ce moment-là que le business model était en train de déraper, confie son directeur général Thomas Dicker. La société, très consommatrice de capitaux, continuait à se comporter comme une société technologique en termes d’investissement au détriment de l’exploitation ». Une demande de clarification des objectifs est officiellement envoyée. Sans réponse. Dans la foulée, la société annonce qu’elle a mandaté Merrill Lynch et le broker Numis pour préparer son introduction sur le FTSE 250 du London Stock Exchange. Les dirigeants espèrent lever quelque 500 millions de dollars à des prix allant de 7 à 12 dollars par actions pour une capitalisation de plus d’un milliard. Innoven s’engage dans un bras de fer avec le conseil d’administration, jugeant l’opération trop risquée. « Face au manque de visibilité nous avons proposé à contre couranttotal un plan de refinancement de la technologie qui prévoyait un recentrage sur une activité conventionnelle d’extraction » retrace le dirigeant d’Innoven. Proposition que le conseil d’administration rejette à plusieurs reprises. 

Échec de l’IPO

La crise financière a finalement raison du projet d’IPO déjà compromis au début de l’été 2008. La valeur de RWP s’effondre totalement. Onde de choc. « Les levées précédentes ont été tellement faciles que le management et le board ne pouvaient imagine rêtre dans l’incapacité de continuer » explique Thomas Dicker. Ce dernier prend les devants en constituant une équipe de spécialistes du secteur pétrole/gaz et entreprend un long travail de fond pour fédérer l’actionnariat autour de son projet. De son côté, le management de la société, à court de liquidités, déclare la cessation des paiements et se place le 16 décembre 2008 sous le Chapter 15, l’équivalent canadien du Chapter 11 américain. Les effectifs sont divisés par 10 pour être rapportés à 30 salariés. Convaincu que les actifs existants ont un potentiel trop peu exploité, un groupe d’actionnaires autour d’Innoven décide alors de diligenter un audit, « financé à hauteur de deux millions d’euros sur les fonds personnels des associés d’Innoven ». 

Dérisquer la société

Une formidable course contre la montre s’engage alors, le régime nord-américain des faillites donnant la priorité au remboursement des créances. Conforté par le rapport d’audit, l’actionnaire français persiste dans sa stratégie. « À titre d’exemple,le seul champ de Mc Camey au Texas comporte 600 puits dont seulement 20 ont été exploités. Les trois principaux champs détenus par RWP représentent une surface de plus de 160 km2 avec des réserves potentielles de plus de 400 millions de barils » détaille l’investisseur. Reste à convaincre les actionnaires et le juge. Une première victoire est remportée début 2009 auprès des tribunaux. Le juge américain octroie l’exclusivité à Innoven pour présenter un plan de sauvetage. Ce projet s’appuie également sur une augmentation de capital entre 30 et 50 millions de dollars qui devrait être finalisée en deux temps entre juillet et septembre 2009, « à un prix correspondant à celui des fonds propres audités, bassement valorisés afin d’encourager une souscription importante de la part d’actionnaires existants ou nouveaux » résume Innoven.Le tournant décisif est franchi le 6 mars dernier. L’Assemblée Générale se rallie au plan d’Innoven et élit un nouveau conseil d’administration, lequel révoque le management historique. Les fondateurs sont définitivement écartés de la gestion de la société. Pour l’heure, le plan reste subordonné à la sortie du Chapter 15 espérée en septembre avant de redonner à la société les moyens financiers en capital. Au final, Innoven devrait monter à 30% du capital, les principaux actionnaires historiques ayant décidé de ne pas participer à l’augmentation de capital. En tout état de cause, la gestion proactive d’Innoven aura prouvé aux sceptiques qu’un VC français, de surcroît investisseur minoritaire, sait prendre la mesure du « risque » attaché à sa profession.

Thomas Dicker, Dg d'Innoven Partenaires, revient sur sa participation dans Rockwell Petroleum

Quelles ont été les principales difficultés qui ont conduit aux errements de RockWell Petroleum ?

La caractéristique du capital-risque est de financer des projets portés par des inventeurs qui n’ont pas nécessairement la fibre managériale. De leur capacité à être entrepreneurs puis managers peut dépendre la validation économique de leur technologie s’ils souhaitent garder les rênes de l’entreprise. Dépenser toutes les sources de financement dans la technologie au détriment de l’exploitation peut s’avérer être une erreur comme cela a été le cas pour RockWell. Et même s’il n’a pas vocation à diriger l’entreprise, c’est à l’actionnaire de ramener les fondateurs sur la voie d’un business model plus adapté. Si le message ne se traduit pas en actes, il faut agir et prendre des mesures moins diplomatiques en dernier ressort. Il en va de la pérennité de l’aventure. C’est ce qu’il nous a fallu faire, quitte à réaliser un véritable « putsch » dans l’intérêt de nos souscripteurs et de la société.

Comment voyez-vous l’avenir pour RockWell et ses actionnaires ?

La première échéance test est la sortie de RockWell du Chapter 15 dès septembre. Nous tablons également sur un retour au cash flow positif en 2010. Notre plan inclut un développement parfusions-acquisitions soit de sociétés en difficulté dans le secteur pétrolier soit d’actifs valorisés au plus bas dans ce contexte de crise. Nous ne perdons pas de vue notre objectif qui reste l’utilisation de la technologie RWP pour l’exploitation des réserves addition nelles, mais voulons d’abord générer de la rentabilité pour pouvoir la développer. Si tout se déroule comme prévu, des opérations capitalistiques seront enclenchées dès 2012. Concernant les actionnaires, l’augmentation de capital que nous proposons est très profitable. Le retour sur investissements est estimé à 7,4 fois pour les actionnaires historiques qui y participent ainsi que pour les nouveaux entrants. 

Cette opération a-t-elle été comprise par vos souscripteurs?

Notre gestion de crise du dossier, pilotée à plein temps par quatre personnes, a été guidée par la protection des intérêts de nos souscripteurs. Notre principe a été une transparence totale à leur égard à partir du moment où nous avons obtenu plus de visibilité après l’élection du nouveau conseil d’administration. Se posait bien évidemment le problème de la liquidation des FCPI 1998-2000 avec lesquels nous avions investi. Le règlement nous permet de rester jusqu’à 10 ans dans l’intérêt de nos souscripteurs. Au-delà, nous sommes en contact permanent avec l’AMF sur la question pour trouver une solution, partant de l’idée qu’il faut prendre le temps nécessaire pour renouer avec la création de valeur. Dans l’ensemble, nos souscripteurs l’ont très bien compris. 

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