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L'histoire

World Freight Company, un build-up au pas de charge 09.12.08

Le revendeur de capacités de soutes des compagnies aériennes World Freight Company est devenu, en trois ans, le leader mondial du secteur. L’histoire d’une consolidation qui s’apparente à de la microchirurgie.
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Réunir des dizaines de petites épiceries et en faire une chaîne de supermarchés. » C’est avec cette formule prosaïque que François Nicoly, associé gérant responsable de l'activité LBO d’Investors in Private Equity (IPE), décrit la constitution du groupe World Freight Company (WFC), leader des GSSA (General Sales and Services Agent) qui commercialisent le fret cargo pour les compagnies aériennes. Partir d’un secteur atomisé et le concentrer à coups de build-up, c’est bien là une recette éprouvée du capital-investissement. Mais quand la concentration s’étend sur vingt pays, avec une quarantaine d’entités juridiques absorbées en un temps record, cela devient un exercice de haute voltige. Le funambule de l’histoire se nomme Pierre Brunet et n’en est pas à son coup d’essai.
Déjà en 1998, cet ancien « pubard » (il a fait ses début dans le groupe Express en 1984), reconverti en serial entrepreneur, a sorti de la soute ce métier encore artisanal pour en faire une industrie. Il avait alors créé ECS (European Cargo Services) à partir des activités des français Globe Air et Aéro Cargo, avant de l’introduire tambour battant au nouveau marché en décembre de la même année. Mais l’ambitieux entrepreneur ne s’attarde pas trop longtemps aux commandes d’ECS et cède ses parts (52%) en 2000, estimant que le marché n’est pas assez mûr pour une consolidation à grande échelle comme il en rêvait. « C’était trop tôt, on était au tout début de la dérégulation du marché aérien, Air France n’était pas privatisée et il n’y avait pas encore l’euro. »

Un sacré melting-pot
Ce n’est que partie remise. Pierre Brunet revient à la charge trois ans plus tard, embarquant l’équipe d’Investors in Private Equity, conquise par son talent de visionnaire et sa connaissance du métier. Décembre 2003 : l’accord est signé. Objectif : créer un groupe mondial, rien de moins. « L’idée était de commencer par une grosse structure qui permette d’agréger de petites unités, pour gagner du temps », retrace François Nicoly. Sauf que les entreprises structurées dans le secteur ne sont pas légion. A peine quelques « supérettes » à se mettre sous la dent pour reprendre la métaphore « épicière » du directeur associé d’IPE : « En Europe, sur la centaine de sociétés « repérables » dans le secteur, seules quatre ou cinq dépassaient la trentaine de millions d’euros de chiffre d’affaires. » L’équipe décide donc de faire coup double en jetant son dévolu sur deux cibles en juin 2004 : la suisse-allemande Mirrair qui engrange une soixantaine de millions d’euros de chiffre d’affaires sous sa marque commerciale ATC et la française TAS (Transport Assistance Services) qui réalise une petite dizaine de millions d’euros. De quoi constituer l’ossature du paquebot, mais le plus dur reste à faire. Pas le temps de souder les deux acquisitions, il faut déjà passer aux cibles suivantes. Et là encore, le tri s’avère laborieux.

Capter les managers de haut vol
Principale difficulté : trouver des managers capables de suivre, détecter les vrais potentiels qui veulent prendre de l’envergure et éviter les profils timorés attachés à leurs petites épiceries et rétifs à tout changement. « Ce critère était surtout crucial au début, l’opération de build-up à grande échelle était déjà assez compliquée à mener pour ne pas y ajouter des opérations de restructuration concomitantes », précise François Nicoly, qui veille à mettre en place des mécanismes d’intéressement du management. Précaution
élémentaire si on veut s’assurer l’adhésion d’équipes disséminées sur trois continents.
Autre difficulté : les audits pré-acquisition sont lourds, chronophages et ruineux. « Que l’entreprise pèse un million ou cent, c’est quasiment le même boulot »,
soupire François Nicoly. Quand les entreprises pressenties n’exercent que la seule activité de GSSA, cela va encore, mais quand elles ont d’autres activités de logistique annexes (achat de solutions d’entreposages, de sécurisation, de pre/post acheminement, de handling ...), la greffe se complique d’une nécessaire amputation préalable. Et c’est ce qui s’est passé à grande échelle avec l’opération Air-Logistic en 2006 : un groupe qui comportait une vingtaine d’entités légales réparties sur quinze pays, dont les deux-tiers ont nécessité un carve-out. Un sacré sac de nœuds ! « Les comptes étaient inextricables, il nous a fallu plus de six mois pour faire le split, raconte François Nicoly. Le processus de rachat
a duré une année et coûté pas loin d'un demi-million d’euros en coûts divers pour une valorisation totale de …3,5 millions ! ». A se demander si le coût et les complications de cette nébuleuse de carve-out
ne rendent pas la création ex-nihilo plus
intéressante ? « La reprise présente un
double intérêt, rétorque Olivier Poncelet, directeur d’investissement d’IPE. D’une part, on hérite d’une base de compagnies aériennes clientes déjà captives et qui
ne demandent pas mieux que se recentrer sur un seul fournisseur pour tous les aéroports. Mais aussi et surtout, la reprise nous permet de récupérer des équipes formées et opérationnelles plutôt que de nous amuser à faire des recrutements en Finlande
ou en Hongrie. »

Passer à la vitesse de croisière
Car Pierre Brunet est seul à mener la danse, bien qu’étroitement épaulé par ses partenaires financiers, qui ont mis « au pot » 10 millions d’euros d’equity pour financer les acquisitions, dont la facture finale s’est montée à 35 millions d’euros. La dette a été levée au fur et à mesure des besoins et comporte une part de crédit-vendeur de 7,5 millions d’euros. Il n’en fallait pas moins pour consolider cet énorme bric-à-brac d’acquisitions, brancher les tuyauteries informatiques, centraliser la gestion de trésorerie, uniformiser les reportings… L’avantage, c’est que le patchwork a beau constituer un ensemble hétéroclite, l’univers de ses clients est ultra-normé et homogène. Les compagnies aériennes sont toutes régies par les normes IATA, ce qui implique un même modèle de contrat, le même système de règlement… en Suisse, en Australie ou en Russie et assure l’envol des profits. En 2008, le groupe va engranger un chiffre d’affaire consolidé pro forma proche de 400 millions et un Ebitda de l'ordre de 10 millions.
La zone de turbulences est dépassée,
le groupe ne compte pas ralentir sa croissance et Pierre Brunet a encore quantité de build-up en ligne de mire. Mais il est temps de changer de copilotes, troquer les voltigeurs pour des financiers qui se prêtent mieux à la vitesse de croisière. IPE cède sa participation à Acto Mezzanine, l’Idi , Axa Private Equity et à Pierre Brunet, qui en profite pour monter dans le capital de son groupe en détenant 70% avec le management (10%). La valorisation pour le LBO secondaire est proche de 100 millions d’euros. Pour une mise de départ de moins de 10 millions, Investors in Private equity empoche un multiple de 3,5 et un TRI
supérieur à 50%. Un atterrissage plutôt
réussi.
Houda El Boudrari

Repères

> 2003
Signature de l’accord entre IPE et Pierre Brunet pour la constitution de WFC.
> 2004
Acquisition de Mirrair Group (Zurich) et TAS (Roissy).
> 2006
Acquisition d’Air Logistic ( 19 entités juridiques) et carve-out sur les 2/3 du groupe.
> 2007
 Acquisition de Air Support, Weco et Airborne Zygene.
> 2008
Sortie d’IPE dans un LBO secondaire au profit d’Acto Mezzanine, l’Idi et Axa PE.

Visions Croisées

  • Zoom
    Pierre Brunet (WFC)
    Pierre Brunet (WFC)
    © D.R.

Comment vous êtes-vous choisis
P. B. : Cela fait vingt ans que je côtoie les professionnels du private equity, je n’avais donc pas de problème de crédibilité face aux financiers. Mais j’étais aussi victime de mon image de serial entrepreneur et pas de gestionnaire de société sur le long terme. Pour monter un projet aussi ambitieux, j’avais besoin de trouver des financiers qui ont beaucoup d’imagination. Une qualité assez rare que j’ai trouvée chez IPE.
F. N. : Nous nous sommes rencontrés sur d’autres dossiers et nous avons tout de suite décelé le potentiel de bâtisseur de Pierre Brunet. Les préliminaires ont duré trois ans (l’équipe était encore au Crédit Lyonnais, IPE n’ayant pas encore vu le jour), entre l’envie de construire ce projet et les multiples engagements des uns et des autres qui en ont retardé le lancement.
Pourquoi avez-vous choisi une répartition des parts 49/51 (avant conversion des OC) en faveur de Pierre Brunet ?
P. B. : Parce que je voulais garder la main sur mon projet, que je voulais préserver cette souplesse dans la décision que procure une position de majoritaire. Et que mon expérience m’a aussi appris qu’entrepreneurs et financiers n’avaient pas la même conception du poids social ou de la problématique de la dette.
F. N. : Au-delà de la méfiance congénitale des entrepreneurs envers les financiers, cette répartition était aussi justifiée par l’intérêt que seul un entrepreneur individuel apparaisse dans les négociations de rachat des cibles, l’implication trop apparente de financiers aurait pu entraîner les prix vers le haut.
Quelle a été la principale difficulté rencontrée dans ce build-up:
P. B.
: Nous avons beaucoup misé sur la première entreprise qui présentait l’avantage d’être déjà structurée et donnait l’impression d’être très bien managée. Les trois associés se sont vu donc attribuer la direction financière pour l’un, le développement commercial pour le second, et la direction du gros marché allemand pour le troisième. Sauf que nous avons eu de mauvaises surprises.
F. N. : Le directeur financier a tout simplement quitté le navire sans prévenir. L’équipe d’IPE, et notamment Olivier Poncelet, directeur d’investissement et « vrai financier », a dû mouiller sa chemise pour assurer l’intérim et bâtir les jonctions entre les deux principaux constituants du groupe : la suisse-allemande Mirrair et la française TAS. Heureusement que nos banquiers ont compris que dans ce genre de projet, il faut accepter une petite période floue, sans reportings, sans indicateurs…

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