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L'histoire

Sagard met Faiveley sur la voie de la croissance 17.04.09

À partir d’un LBO au service d’une acquisition industrielle, Sagard a réussi un coup double pour faire de Faiveley un acteur mondial de l’équipement ferroviaire.
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Historiquement associé à l'invention du pantographe, ce dispositif articulé qui permet à une locomotive de capter le courant, le groupe familial Faiveley est devenu, depuis sa création en 1919, un des leaders européens des équipements ferroviaires. Le début des années 2000 est marqué par un mouvement mondial de concentrations de ce secteur dominé par trois principaux fabricants : Alstom, Bombardier et Siemens. Dans ce paysage, Faiveley connaît un certain nombre de difficultés, coincée entre deux grands concurrents, l'allemand Knorr-Bremse et l'américain Wabtec. En 2003, avec l'arrivée de Robert Joyeux (ex-Alstom) à la tête de la direction générale, de Faiveley Transport (FT) s'amorce un nouveau virage. Pour défendre sa position, l'industriel cherche une acquisition stratégique sur un segment qui lui faisait défaut : les systèmes de freinage à air comprimé. Le suédois Sab Wabco, repris en 2002 par le fonds américain Vestar CP, est une cible de choix. Mais les obstacles ne manquent pas : le groupe scandinave pèse 360 millions d'euros de chiffre d'affaires, 100 millions de plus que Faiveley, sa culture  d'entreprise est différente, son actionnaire principal est un investisseur et les candidats à la reprise se bousculent, comme l'un de ses principaux concurrents, Wabtec. L'idée germe alors dans l'esprit du management de financer l'opération par endettement mais également par l'ouverture en minoritaire du capital à un fonds d'investissement.
Deux acquisitions en une
Sagard figure parmi les six ou sept prétendants. Peu habitué aux LBO minoritaires, le fonds français est néanmoins séduit par le projet. « La forte culture industrielle propre à Sagard a été déterminante pour cerner l'intérêt stratégique de l'opération » explique Christopher Spencer, associé du fonds. C'est donc ce dernier qui est retenu par François Faiveley, principal actionnaire de FT, via sa holding cotée Faiveley SA. L'investisseur va mener de front la prise de participation dans l'industriel français et le rachat de Sab Wabco par FT. « La présence de Sagard nous a placé en pole position lors des négociations avec Sab Wabco » souligne Robert Joyeux. Le chantier va durer quatorze mois pour aboutir à un accord en octobre 2004. FT finance l'acquisition de Sab Wabco par un endettement bancaire de 230 millions d'euros et par une augmentation de son capital de 100,4 millions d'euros. L'augmentation de capital est préalablement souscrite à hauteur de 93,5 millions d'euros par Sagard et à hauteur de 6 millions d'euros par l'équipe dirigeante du nouveau groupe (comprenant les dirigeants de FT et de Sab Wabco). « Le tout en une journée de temps » lance Chris Spencer. Le fonds prend 35,9% de FT, le management 2,5%, tandis que Faiveley SA garde le solde. L'ensemble consolidé représente un volume de 581 millions d'euros. « Au-delà du LBO, l'accompagnement de Sagard s'est traduit par un réel apport stratégique » analyse Robert Joyeux. Une manière de montrer que l'expertise des fonds d'investissement ne réside pas uniquement dans l'ingénierie financière mais aussi dans une certaine légitimité industrielle et opérationnelle. Légitimité que le management et l'actionnaire financier s'attacheront à confirmer tout au long de leurs quatre années de partenariat.
Bâtir un leader mondial
Encore faut-il que tout ce petit monde s'accorde. « Le management de FT était plus proche de nous en termes de culture industrielle alors que celui de Sab Wabco l'était au titre de sa pratique LBO très focalisée sur le cash » résume Chris Spencer. L'investisseur va donc jouer un rôle de fédérateur. « La motivation du management a été une des données clés du succès de l'opération. La force de Sagard a été de mettre en place, en accord avec l'actionnaire de référence, un dispositif qui a favorisé l'adhésion de l'équipe au projet » confie Robert Joyeux. Première décision difficile : fermer le siège suédois à Malmö et intégrer six cadres dirigeants sous la houlette de Robert Joyeux qui reste Pdg. L'adaptation et les ajustements vont prendre quelques mois. Mais les synergies latentes ne tardent pas à s'opérer. Le groupe étend sa couverture internationale à l'Inde et au Brésil et devient le premier contractant pour les systèmes de freinage en Chine.
S'ensuivront quatre années fastes en termes d'acquisitions : en France avec NSF (systèmes de ventilation) pour 10 M€ en 2006, Espas (portes électriques) en 2007. Puis ce sera la Chine, l'Allemagne et l'Australie. Les carnets de commandes vont croître de 8,7% par an pour passer de 726 M€ en 2004 à plus d'un milliard en septembre dernier. « Les efforts de réduction des coûts et d'amélioration de la coordination, auxquels Sagard nous a conduits ont fait passer la marge opérationnelle de 11,8% à 13,1% en 2008 pour un chiffre d'affaires de 693 M€ » se réjouit Robert Joyeux. Dès juillet 2007, la dette d'acquisition est apurée et les objectifs de rentabilité de l'investissement sont dépassés. L'Ebitda a cru de plus de 10% par an pour bondir de 74,1 à 102M€. En conformité avec les accords initiaux, le fonds enclenche un processus de cession dès novembre 2007. Ce qui n'empêche pas le groupe de continuer à financer sa politique d'acquisition par endettement. « Sagard n'a jamais été un frein pour nos projets de croissance externe, bien au contraire » insiste le Pdg de FT. Quelques mois à peine avant la sortie de l'investisseur, Faiveley met la main sur les activités de frictions de Carbone Lorraine pour 24 M€ et sur Econ, un acteur majeur du freinage aux États-Unis pour 71 M$.
Une sortie en deux temps
« Il a fallu trouver un juste équilibre pour permettre à la famille Faiveley de racheter notre participation sans un recours trop important à l'endettement mais sans trop diluer le capital par l'émission de nouveaux titres » souligne Christopher Spencer. Après un an de négociations l'investisseur reçoit en décembre dernier 239 M€ et 1,17 million d'actions nouvelles Faiveley SA, soit un bloc de 8,13%. Bloc que le fonds revendra fin février à l'issue d'un placement privé auprès d'une quarantaine d'institu-tionnels français et anglais, au prix de 46 euros par action. In fine, l'opération valorise l'ensemble autour de 900 millions d'euros. Le fonds réalise un multiple de 3 et un TRI supérieur à 50%. FT finance l'acquisition des titres par une dette de 490 millions d'euros. « La qualité du projet Faiveley nous a permis de fédérer neuf banques au pire moment de la crise de liquidité des marchés. En 2008, le titre a progressé de 15,7% alors que les valeurs du CAC mid 100 ont baissé en moyenne de 40%» rappelle Robert Joyeux. L'emprunt comportait également des lignes de crédit destinées à financer sa croissance externe. Si aucune opération n'est en vue, Robert Joyeux n'exclut pas de refaire appel à un investisseur si une opportunité se profile. On ne change pas une recette qui marche.
Benjamin L'Hoir

Visions croisées

Christopher Spencer (C.S.), partner chez Sagard et Robert Joyeux (R.J.), Pdg de Faiveley Transport et président du directoire de Faiveley SA, évoquent leur partenariat :

PEM: Comment vous êtes-vous choisis ?
C.S.: Le choix d'une prise de participation minoritaire n'allait pas de soi pour un fonds comme Sagard. Mais le projet industriel de François Faiveley et Robert Joyeux avait un vrai potentiel de création de valeur.
R. J.: L'acquisition par endettement seul était envisageable, mais notre actionnaire familial a jugé plus prudent de faire entrer un financier afin d'accompagner cette opération et de minimiser les risques. Le choix s'est vite porté sur Sagard pour ses qualités relationnelles et pour sa vision très claire du business plan.
PEM: Comment se sont passées vos quatre années de vie commune ?
C.S.: Le véritable challenge a été de trouver l'alchimie entre les managements français et suédois dans le cadre d'un LBO. Même si les seconds étaient déjà rompus aux problématiques financières, il a fallu prendre du temps pour que tout le monde puisse trouver ses marques. Au final, la gouvernance à trois s'est bien passée.
R. J.: La présence d'un actionnaire financier nous a conduits à renforcer notre reporting et à nous adapter plus rapidement à la nouvelle dimension du groupe. Sagard a été un partenaire très constructif lorsqu'il s'est agi de croissance externe même lorsqu'elle devait être financée par endettement.
PEM: Comment vous êtes-vous séparés ?
C.S.: Même si elle s'est faite à regret, notre sortie était parfaitement prévue à l'origine. C'est une belle opération financière mais également une belle aventure industrielle : l'acquisition par une PME d'un groupe plus important afin de former un leader mondial.
R. J.:En très bons termes, l'accompagnement par un fonds tel que Sagard a été une expérience créatrice de valeur et nous n'excluons pas de recourir à l'avenir à un montage de ce type si opération stratégique similaire se présentait.

Repères

> 1919 : création des établissements Louis Faiveley à Saint-Ouen (93)
> 1935 : Faiveley devient société anonyme
> 1972 : création du pantographe à très grande vitesse
> 1988 : création de Faiveley Transport (FT)
> 1994 : introduction en bourse de Faiveley SA
> 2003 : Robert Joyeux prend la direction de FT
> 2004 : prise de participation de Sagard dans FT et acquisition de Sab Wabco par FT
> 2006 : acquisition de NSF
> 2007 : acquisition d'Espas
> 2008 : acquisition d'Ellcon, cession de la participation de Sagard à Faiveley SA
> 2009 : vente des 8,12% de titres restants de Sagard
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