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L'histoire

OPi ou comment construire une biopharma en moins de dix ans 04.11.08

La success story de la biopharma OPi, cédée à l’américain Eusa Pharma en 2007, rappelle qu’un autre modèle de développement est possible, basé sur la combinaison intelligente de la R&D et de la commercialisation.
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Chercheur et entrepreneur, Gilles Alberici concilie apparemment l’inconciliable. Si sa carrière a en effet commencé comme chercheur à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif, spécialisé dans le traitement des cancers, où il s’était orienté vers l’hématologie, l’homme a très vite compris que sans argent, il est difficile de faire progresser la recherche. Entré à l’Institut Mérieux, il y crée en 1994 une division immunosuppression, baptisée Imtix. La suppression temporaire de l’immunité est utilisée dans le traitement de beaucoup de cancers du sang pour les greffes de moelle. En 1998, Imtix est revendue à SangStat par Pasteur Mérieux, et Gilles Alberici décide de quitter son poste pour mener à bien un autre projet qui lui tient à cœur: le traitement des maladies rares, et plus précisément des maladies malignes du sang. «La plupart de ces maladies sont orphelines, avec des besoins de traitement importants. Pendant les années 90, beaucoup de projets ont été abandonnés faute d’argent, d’entrepreneurs et de lien entre les laboratoires académiques et l’industrie», explique-t-il.

Besoin d’aller vite…
Avec un investissement personnel de départ de 150000 euros, Gilles Alberici crée donc à l’été 1999 la société Orphan Pharma International (OPi) près de Lyon. En un an, il arrive à monter un petit tour de table de 1,1 million d’euros, mené par le régional Sofimac, avec également Rhône-Alpes Création, BioMérieux Alliance et des business angels. «Nous avions un positionnement très particulier et les biotechs n’étaient pas encore à la mode. Avec moins de fonds et donc moins de temps, il nous fallait être plus rapide», raconte Gilles Alberici. L’entrepreneur utilise cette levée pour faire immédiatement une opération de croissance externe en acquérant le laboratoire Isotec, qui exploite une quinzaine de médicaments sous Autorisations Temporaires d’Utilisation (ATU), dispositif spécifique à la France qui permet un accès précoce à des médicaments non encore commercialisés… à condition qu’ils soient destinés à traiter des maladies graves ou rares, qu’il n’existe pas de traitement approprié sur le marché et qu’ils présentent un profil satisfaisant en termes d’efficacité et de sécurité d’emploi. Isotec «environ 2 millions de CA, pas trop de pertes et une quinzaine de salariés», représente pour OPi la première porte d’entrée vers le marché: «Nous avions acquis la première pièce du mécano, l’activité aval de commercialisation, il nous a fallu ensuite remonter le chemin vers la recherche et développement».
Toujours avec l’idée de répondre aux besoins des malades tout en accédant le plus rapidement possible à la rentabilité, OPi se tourne vers les hôpitaux, où sont traités les patients touchés par des affections hématologiques rares. Grâce aux nombreuses données recueillies en amont par l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, un premier produit reçoit en 2000 son autorisation de mise sur le marché en France. Le Fomepizole est un antidote contre les intoxications au méthanol (alcool frelaté) ou à l’éthylène glycol (antigel), des produits dont l’ingestion est mortelle ou laisse de graves séquelles. Dès 2002, la réglementation européenne sur les médicaments orphelins permet de commercialiser le produit dans 11 pays, via des accords avec des distributeurs en Europe du Nord et une première filiale en Allemagne. Dans le même temps, l’entreprise boucle un deuxième tour de 4,5 millions d’euros, avec Innoveris et la CDC en plus des VCs historiques. De quoi acquérir en 2003 la société Diaclone, filiale de l’allemand Biotest, avec laquelle OPi collaborait au développement de deux anticorps monoclonaux, dont le plus avancé, le Leucotac, qui traite les maladies du greffon contre l’hôte, est en phase III des essais cliniques.

… avec des accords stratégiques

Début 2004, les revenus approchent les 5 millions d’euros pour des pertes modestes, environ 500000 euros, et quelques produits sont en phase pré-clinique. Afin d’améliorer la qualité technologique de la R&D, un accord est signé avec l’américain Vaccinex en vue d’utiliser sa plateforme ,qui permet de «faire un saut technologique dans le développement de nouveaux anticorps monoclonaux full human», selon Gilles Alberici. Mais le fondateur d’OPi souhaite aussi faire rapidement progresser son chiffre d’affaires: à la suite d’un nouveau tour (6,4 millions) mené par Seventure (ex-Spef Venture) et Siparex, la biopharma lyonnaise acquiert un premier produit auprès d’Aventis Pharma, le Kidrolase. «Le produit avait été mis sur le marché dans les années 70. Il nécessitait une mise à jour et un développement industriel. Les besoins étaient énormes, le produit étant l’une des médicaments majeurs dans la prise en charge des leucémies aigües lymphoblastiques, une maladie qui représentait un tiers des cancers pédiatriques.» Enregistré dans 17 pays, Kidrolase est surtout distribué en France, où ses ventes générent 550000 euros de chiffre d’affaires, mais OPi stimule les ventes à l’international en s’appuyant sur ses filiales en Allemagne, en Grande-Bretagne et au Canada. Parallèlement, la société signe un accord de licence avec la Health Protection Agency britannique pour la commercialisation d’un produit complémentaire à Kidrolase, dédié aux mêmes applications mais mieux toléré, Erwinase, dont la commercialisation a été suspendue en 2003 suite à des problèmes de fabrication: OPi travaille étroitement avec la HPA pour les résoudre et, en quelques mois, obtient l’approbation réglementaire des autorités de santé britanniques, sans avoir besoin de refaire des essais cliniques! Les pièces du mécano, avec un mix atypique de R&D et de revenus récurrents issus de la commercialisation internationale d’un portefeuille de produits matures, commencent à se mettre en place: en 2006, le chiffre d’affaires dépasse 18 millions d’euros, contre 11 l’année précédente, pour un résultat légèrement positif…
En sept ans et avec près de 16 millions levés auprès des fonds (dont encore 4,5 en 2006), OPi est donc devenue une petite pharma de 75 salariés, leader incontournable dans l’onco-hématologie, avec des produits distribués dans 50 pays et une croissance de près de 70% par an. « Avec une structure légère dans différents pays, OPi est parvenu à créer un cercle vertueux, où le cash-flow dégagé par la vente de produits finance la R&D», résume Isabelle de Cremoux, de Seventure. L’étape suivante est l’introduction en Bourse ou le rapprochement avec un tiers: pour des raisons familiales, le fondateur d’OPi, qui détient encore près de 30%, souhaite prendre un peu de recul et préfère la seconde solution. Le process prend trois mois et c’est l’anglo-américain Eusa Pharma, une participation de 3i et d’Advent, qui emporte la mise en mars 2007 avec une offre de 109 millions d’euros… ce qui assure une belle plus-value aux VCs (41% de TRI net pour Sofimac et 70% pour Seventure). Quant à Gilles Alberici, il consacre désormais son énergie à un projet personnel, le financement d’actions d’aide aux patients atteints de cancer, visant à améliorer leur prise en charge médicale et paramédicale, à travers la fondation Dominique Alberici. Tout en restant engagé dans la recherche académique, où sa holding familiale, Octalfa, finance de jeunes sociétés biopharmaceutiques comme Alizé Pharma, qui développe une molécule contre le diabète.
François-Xavier Chapelle

Visions Croisées entre Gilles Alberici et Cécile Thébault

Private Equity MAGAZINE: Comment vous êtes-vous rencontrés?
G. A.: Je cherchais des investisseurs et j’ai rencontré Sofimac dans le cadre d’une action de communication sur les projets dans la région Centre.
C. T.: La personnalité de Gilles, son expérience de management d’équipes et son expertise dans le développement de médicaments nous ont conquis.
Private Equity MAGAZINE: Quelle a été la clé de la réussite d’OPi, selon vous?
G. A.: Le modèle mixte de développement, où le cash-flow dégagé par les produits sur le marché permettait de financer la recherche et développement. Au début, mon réseau et mon savoir-faire ont permis de gagner du temps, mais je pouvais aussi compter sur une équipe de management internationale avec un schéma d’organisation simple, qui nous a permis d’aller vite et droit.
C. T.: Gilles avait dès le départ une vision très précise de ce qu’il voulait faire, et ne stratégie très affirmée pour y arriver. Le développement s’est fait à marche forcée, en très peu d’années. Et son expérience internationale avec Imtix a compté pour monter «step by step» un réseau de distribution en Europe puis au-delà.

Private Equity MAGAZINE: Comment avez-vous pris la décision de mettre OPi en vente?
G. A.: Nous avions envisagé l’introduction en Bourse, mais l’aventure avait déjà duré sept ans et nous repartions alors pour plusieurs années, ce qui m’était difficile pour des raisons familiales.
C. T.: Le développement en Europe et, surtout, aux États-Unis demandait des moyens supplémentaires. Nous avons effectivement pensé à l’IPO en 2006, mais il nous aurait fallu lever 20 à 50 millions d’euros et les marchés étaient alors fermés.

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